Sous la toile

Interview / Après Just another landscape for some juke-box money, exploration oscillant entre Schubert et le fado, Koen Augustijnen revient à une forme plus intime, bercée des échos baroques de Purcell. Rencontre avec le chorégraphe - metteur en scène - danseur d'un spectacle fécond. Propos recueillis par François Cau

Pouvez-vous nous retracer la genèse du spectacle ?Koen Augustijnen : Steve Dugardin, le chanteur classique qui est dans le spectacle, avait déjà travaillé avec les Ballets, dans une pièce d'Alain Platel. Il s'est trouvé que je devais faire la chorégraphie d'un court métrage sur lequel il composait la musique, et nous en avons profité pour lancer une collaboration sur un spectacle. Il m'a demandé si je voulais faire un duo avec lui, sur des musiques du compositeur baroque Henry Purcell, je lui ai répondu qu'on pouvait faire quelque chose de plus grand. J'ai proposé de faire appel à Guy Van Nueten, un pianiste que je connaissais pour ses compositions aussi bien dans le classique que le pop-rock, avec les groupes Zita Swoon ou dEUS. Au départ, les deux musiciens voulaient danser et je devais jouer de la guitare ; j’ai abandonné la gratte, ils se sont intégrés, ainsi que les danseurs avec leurs particularités : il y a un danseur algérien qui vient du breakdance, un acrobate parisien et un danseur contemporain iranien.C'est un spectacle entièrement masculin...Jusque là, j'ai toujours travaillé avec des femmes et des hommes. Mais pendant la mise en œuvre du projet, j'ai vu une exposition d'une photographe flamande qui travaille pour l'agence Magnum, un reportage sur des camps de prisonniers en Sibérie où les femmes et les hommes étaient séparés. C’était quelque chose de très fort, ça m'a inspiré et je me suis mis à travailler autour de ces photos. Le décor est simplement constitué d'une bâche, une métaphore où chacun peut voir ce qu'il veut, pour moi ça inscrit les danseurs dans quelque chose d'intime et de vulnérable, qui les poussent à se dévoiler face au public. C'est une autre raison pour laquelle j'ai choisi de ne travailler qu'avec des hommes, pour aller au-delà du côté viril ou macho, vers une certaine tendresse que les hommes montrent moins. D'où les passages dialogués face au public : j'ai demandé aux participants si ils voulaient se présenter, raconter quelque chose sur eux, ils ont improvisé et j'ai choisi les petits bouts, on a fait du "montage".Les interprètes parviennent à garder l'équilibre entre une forme d'angoisse et l'humour...C'est caractéristique du thème le plus important de la pièce : la peur. Je voulais vraiment essayer de faire quelque chose là-dessus, c'est une notion très présente en ce moment, à travers tous les réflexes conservateurs qu’on constate à travers le monde, ça demeure une problématique très prégnante. Le spectacle en tant que tel n'est pas vraiment politique, je voulais avant tout dégager de la poésie des sentiments. On a greffé des scènes qui parlent de peur, d'angoisse, mais je ne voulais pas non plus d'un spectacle complètement noir, parce que je ne vois pas la vie comme ça, ce n'est pas ma vision ; je voulais que le public accède régulièrement à de l'espoir. Je comprends que certaines personnes ne raisonnent pas de cette façon, mais pour moi ça ne marche pas comme ça. Cet équilibre entre légèreté et gravité était fondamental.On sent une nouvelle fois votre goût pour les arts du cirque.L'an passé, on m'avait invité à Sydney pour diriger une troupe d'acrobates, c'était quelque chose d'entièrement nouveau, que j'ai beaucoup apprécié, dans la lignée de ce mélange des formes que j’affectionne. À tel point qu'au début de la création, on avait imaginé des scènes avec des trapèzes, mais ça conférait brusquement un champ de vision trop grand, qui allait à l'encontre de nos intentions. On a tout de même rajouté un peu d'acrobaties, pour créer une interaction avec d'autres mouvements. C'est un peu une deuxième nature pour les Ballets de mélanger différentes choses, de mêler les styles de danse, d'y greffer du théâtre, dans la continuité des explorations artistiques de Pina Bausch. Dans votre note d'intention, vous évoquez un texte japonais, dans lequel l'auteur nous dit qu'il nettoie systématiquement son espace de jeu avant de répéter, afin d'arriver à un meilleur état de concentration. Dans quelle mesure cela fait-il écho à la première scène de Bâche, où les quatre danseurs se livrent à une activité similaire ?Au cours du processus de création, cette idée est venue, et on a improvisé autour de cette scène, sans savoir où ça allait se placer. Intuitivement je voulais la mettre au début du spectacle. On a essayé différentes choses, sans être convaincus. Et puis Guy Cools, le dramaturge, est revenu un matin avec ce texte, où l'auteur précise que la première chose qui lui tienne à cœur est de nettoyer le sol avec de l'eau, de respecter l'espace pour mieux arriver à ses fins. D’un coup, cette scène était enfin légitimée, ça nous a conforté dans l'idée d'en faire l’ouverture du spectacle.Vous avez déjà un autre projet en tête ?On va finir la tournée de Bâche dans un premier temps, mais j'ai effectivement un nouveau spectacle en tête. Quand j'ai commencé à travailler sur cette pièce, il y avait un morceau de Purcell, O Solitude, dont j'étais sûr qu'elle serait dans la mouture finale. C'est une chanson magnifique, avec un texte très émotionnel sur la solitude, mais finalement, insérée dans le spectacle comme elle l’était, elle en dévoilait trop, elle soulignait l'état voulu jusqu'au pathétique. Mais je l'utiliserai du coup dans ma prochaine pièce, qui n'aura cependant pas grand chose à voir puisqu'il s'agira d'une chorégraphie originale, avec des boxeurs. On commencera par de petits mouvements et on verra où ça nous mènera...

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