Renouveau hip-hop

Récap / S’il continue de nous accabler de productions cheap, refrains R’n’B douteux, MCs poussifs, et textes de bas étage, le hip-hop français à également vu émerger en son sein, ces dernières années, une nouvelle vague talentueuse et décalée, à des années-lumière des clichés entendus et de la beaufitude érigée en mode de conduite… Damien Grimbert

Alors qu’il a pendant des années talonné son grand-frère US en terme de qualité, le hip-hop français s’est, depuis la fin des années 90, en grande partie enlisé dans un marécage où se côtoient rappeurs putassiers prêts à fournir n’importe quelle soupe pour passer sur les radios commerciales, et puristes du rap de rue hardcore et underground qui, forts en gueule à défaut d’être talentueux, finissent généralement par échouer dans la première catégorie, au Panthéon des compromis douteux. Bien sûr, en cherchant un peu, on trouve toujours quelques joyaux dans le genre qui font exception, mais pas forcément en nombre suffisant pour pérenniser un style musical en forte perte de vitesse, du moins en ce qui concerne l’innovation. Pourtant, dès 2000, la résistance s’organise, par le biais d’une mixtape devenue mythique, L’Antre de la Folie, en référence au film d’horreur homonyme de Carpenter. La profession de foi affichée (la formule est si belle qu’elle est reprise aujourd’hui par le moindre MC opportuniste) : jouer avec le cadavre du rap français. Initié par Tekilatex (TTC) et James Delleck, ce projet ne constitue ni plus ni moins qu’une carte de visite pour une nébuleuse d’artistes qui ne tarderont pas à constituer un nouveau courant, farouchement avant-gardiste, de la scène hip-hop française. Aux côtés des deux précités, on retrouve ainsi les deux autres MCs de TTC, Tido Berman et Cuizinier, La Caution (Hi Tekk Le Receleur et NikkFurie), Saphir le Joaillier, Fuzati (Le Klub des Loosers), Cyanure, Deufré Le Jouage… Caractéristiques communes de ces artistes : un ras-le-bol de la complaisance du rap mainstream, une volonté de sortir des clichés “ghetto”, un attrait marqué pour la science-fiction et les musiques électroniques, et surtout la volonté farouche d’expérimenter en permanence, qu’il s’agisse des productions, des flows, ou de l’écriture des textes.Premier jetsMais c’est en 2002 que s’effectue réellement la première percée de ce rap new school, avec la sortie de deux albums de référence, en l’occurrence les premiers opus de TTC (Ceci n’est pas un disque) et de La Caution (Asphalte Hurlante). Si les premières écoutes sont déconcertantes tant elles s’éloignent des standards en vigueur (flows non linéaires, productions chaotiques, textes surréalistes), les deux galettes s’avèrent pourtant rapidement addictives. Bien qu’assez inégal, le “non-disque” de TTC reste sacrément rafraîchissant par son ironie mordante («C'est pas de sa faute si ses parents sont avocats, elle n'a pas eu de chance elle ne comprend pas, elle aurait bien aimé avoir le choix... En même temps quelques fois ça ne la dérange pas de conduire la Laguna de Papa, pour se rendre à son cours de capoeira» in Pauvres Riches) et ses expérimentations tous azimuts. Quand à Asphalte Hurlante, il s’impose d’entrée de jeu en premier chef-d’œuvre du genre encore naissant. D’un côté, des ambiances poisseuses et apocalyptiques, et des textes sombres et bourrés de références à Fight Club ou Philip K. Dick («Mensonges et compagnie, ma perception de ce monde est floue, je me réveille amnésique avec les sapes sales et sanglantes, quelques bleus sur la face, crade est l’ambiance, j’habite une pièce close pleine d’ordures moisies, avec une vue sur l’usine, dans une zone industrielle brute ou les émanations de gaz masquent le ciel, mes amis les insectes circulent à travers les céréales» in Changer d’Air). Et de l’autre des flows novateurs tétanisants qui rebondissent sur de magistrales instrus violemment électroniques. Indubitablement, la donne a changé.Le hip-hop, c’est mon poteDès lors, le rythme des sorties s’accélère, confirmant la plupart du temps les attentes placées en ces artistes. L’Armée des Douze (La Caution, TTC, et Saphir le Joaillier) sort l’enthousiasmant Cadavre exquis, le Klub des Loosers son noirissime premier maxi Baise les Gens suivi de La Dame de Fer, Orgasmic le Toxicologue (DJ du Klub des Loosers puis de TTC) une mixtape monstrueuse, Deufré Le Jouage et James Delleck un projet futuriste intitulé Gravité Zéro, et La Caution un excellent maxi aux côtés du duo électro Château-Flight, Crash Test, qui pousse encore plus loin les influences électroniques, psychédéliques et cinématographiques. Enfin, Tacteel (ex-ATK aux côtés de Cyanure) et Tekilatex donnent le coup de grâce, en créant le label Institubes et le collectif L’Atelier, dont Le Buffet des anciens élèves, sorti en 2003 réunit la quasi-totalité des acteurs du mouvement. Désormais sûre de son fait, la clique pousse encore plus loin ses délires second-degré, non-sensiques, ou cyniquo-dépressifs en 2004, et plonge de plein pied dans l’électro : après des collaborations avec dDamage, Feadz, ou Diplo, TTC sort son hallucinant deuxième album Bâtards Sensibles. Un tournant incontestable en matière de production, supervisée en grande partie par Para One et Tacteel. Partagé entre des lyrics repoussant très loin les limites du second degré délibérément borderline (faites écouter le morceau Girlfriend à votre copine, pour voir...) et des explorations textuelles plus poétiques (J’ai pas sommeil, Bâtards Sensibles), l’album est bourré jusqu’à la mœlle de crunk, grime, booty bass, ghetto-tech et autres tendances hybrides. Institubes accueille à présent en son sein Fuckaloop (versant électro des expérimentations de Para One & Tacteel) et Teamtendo (duo travesti en peluches géantes composant à partir de vieux sons Gameboy - en live, l’impression étrange de voir Tic et Tac mixer de la techno incroyablement efficace). Le futur du hip-hop ? Peut-être pas, mais son présent assurément.

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