Cécil Guitar 13e de liste GO citoyenneté

Quelles seraient vos priorités en termes de développement culturel une fois élu ?On arrive à la fin du cycle Malraux. Jack Lang, en doublant le budget en 1982, a donné un sursis à ce système, il a fini son rôle historique. Les collectivités qui étaient le prolongement, l'ombre portée de la politique de l'État, se trouvent à avoir à assumer par elles-mêmes leur destin culturel. À GO on a commencé ce travail de réflexion, on ne peut pas imaginer que la politique culturelle soit déconnectée de la politique éducative. Contrairement à ce que Malraux avait dit, ce que moi j'appelle le péché originel, “la culture ce sera pour faire aimer, et l'éducation pour faire connaître“. Je dirais que le ferment de la crise était déjà là quand il a imaginé un système culturel déconnecté de la vie. J'étais le président d'une fédération qui s'appelle Peuple et culture, dont le manifeste en 46 était, et il est encore d'actualité pour nous, “il faut rendre la culture au peuple et le peuple à la culture“. D'abord parce que l'on ne s'est pas rendu compte que la France avait sociologiquement changé, énormément. Il y a une très grande diversité culturelle, il y a des aspirations de la jeunesse, et les politiques culturelles étatiques un peu arrogantes parfois, condescendantes en tout cas, organisées sous la forme d'une offre - on consomme une offre. Les sociologues de la culture le disent depuis très longtemps, il y a une sorte de fatalité sociologique, on bute à 20% de la population. Et la Maison de la Culture (MC2) c'est même moins, c'est 10% de la population quand on le ramène aux habitants. Il y a vraiment un problème. Essayons de regarder comment la France a changé, pourquoi la France a changé, et à partir de là organisons un système culturel qui regroupe l'Éducation et la Culture. Pour être concret, par exemple les enseignements artistiques, pour nous c'est fondamental, l'enseignement artistique, les pratiques en amateur, sont des logiques qui devraient permettre de repousser un peu ce butoir sociologique de 20% de la population. Le spectacle vivant c'est moins, mais il ne faut pas oublier que la culture ce n'est pas que ça. Aujourd'hui on voit tout derrière le prisme du spectacle vivant, qui est un des aspects de la culture, mais il y a tout le patrimoine, il y a toute l'archéologie, il y a toute l'ethnologie, il y a les bibliothèques, les musées, la culture scientifique et technique, il y a cette diversité des disciplines à prendre en compte. Mais surtout en partant de la réalité sociologique, je pense qu'on peut trouver le bon équilibre. Prenons des exemples concrets : le bon équilibre aujourd'hui, c'est ce que fait en France la Belle de Mai à Marseille, c'est ce qu'on a esquissé ici avec Jérôme Safar un peu timidement sur le mandat, Man'art(e), ici même dans ce bâtiment (l'ancienne usine Cémoi où se trouvent également les locaux du Petit Bulletin, NDLR), le théâtre en amateur qu'on a organisé dans une MJC à Prémol, la Bifurk, des lieux comme ça sont pour nous prometteurs d'une dynamique de culture à engager. Ça ne veut pas dire qu'il faut laisser tomber les grandes institutions culturelles. Parce que si elles n'existaient pas, elles seraient réclamées ; la Maison de la Culture si elle n'existait pas elle serait réclamée. Mais c'est aller vers des équilibres qui permettent de sortir de cette forme d'élitisme culturel, qui fait que la population au sens large ne se reconnaît pas derrière les politiques culturelles qu'on a mis en place - et là je fais aussi notre autocritique, on était dans le mandat, on était dans l'exécutif.Comment envisagez-vous un équilibre financier entre institutions et structures indépendantes ? Les choses ne se font pas, ne se décrètent pas comme ça, il y a des forces, des pesanteurs, des résistances, mais j'imagine assez bien qu'on puisse dégager de la masse budgétaire de la culture, c'est-à-dire entre 26 et 27 millions aujourd'hui, dégager 10% de cette somme qui nous permettrait d'aider des émergences culturelles. Aujourd'hui on n'a aucune marge de manœuvre. Ou alors, à la marge de la marge, je dirais. Mais la marge c'est ce qui tient la page, disait Godard ! On le fait mais d'une manière un peu trop symbolique, par exemple on traite le dossier ex-Adaep, avec l'équipe de Jérôme Safar, là on se rend compte que si on ne dégage pas une marge de manœuvre qui permette à cette équipe de décoller, elle va retomber dans une errance qu'on connaît bien. Et c'est vrai que les grosses institutions sont extrêmement budgetivores, voraces sur le plan budgétaire, et là je crois qu'il faut être attentifs un peu à ça, imaginer des logiques qui nous permettent d'encourager vraiment l'émergence d'autres possibilités. On a imaginé à GO ce qu'on a appelé un bureau des passions, c'est-à-dire l'idée d'installer un fond d'innovation culturelle, éducative, le FICE, en partage entre la ville et la Métro, parce que ça peut irriguer l'ensemble de l'agglo, qui pourrait être un peu comme l'ancien fond d'intervention culturelle Avec 10% on y arriverait.Comment composer une politique culturelle viable avec les baisses de budget en vigueur depuis cette année ?Cette baisse du budget, elle est tragique, parce qu'elle est massive. Le Ministère de la Culture se désengage complètement. Mais d'une certaine manière, au moins il y aura un bien pour un mal, ça va nous obliger à prendre des responsabilités : au lieu d'être dans cette logique d'accompagnement institutionnel, ça va nous obliger à faire des choix. Alors que, jusque-là, grosso modo, on peut dire que tout se faisait sous le parapluie de l'État. Il y avait un problème ? C'était à cause de l'État. Même chose là : il y a des problèmes dans certaines institutions, bah c'est parce que l'État se désengage. Maintenant on sait que l'État n'est plus là, à présent. Les collectivités sont majeures, leur destin politique en mains, en termes d'éducation et de culture. Une politique culturelle d'agglomération à part entière est-elle envisageable ?Non. Parce que tout simplement les collectivités qui sont les composantes de cette agglo, ne veulent pas se délester de cette compétence. Pour qu'elle soit possible, ça voudrait dire qu'il faudrait transférer la compétence sur l'établissement public et la mettre à une collectivité. Et comme elle n'est pas élue au suffrage universel, il y a une réticence. Il y a une deuxième réticence du fait que le culturel est très fortement identitaire, et donc on s'en sépare difficilement. Ce qui est un paradoxe, parce que la Culture, plus vous la partagez plus vous vous enrichissez. Contrairement à des biens culturels traditionnels. On aurait intérêt à partager. Mais prendre des décisions de façon collégiale, ça ne veut pas forcément dire forcément tout laisser décider par la Métro ?Ça peut être une compétence partagée. Je pense que là où c'est jouable c'est sur des attributions qu'on appelle subsidiaires, ça veut dire faire à un endroit ce que personne d'autre ne peut faire ailleurs. J'ai déjà vu des exemples, par exemple Métrodoc : on a tenté de mettre en réseau les bibliothèques sur l'ensemble de l'agglo, il n'y a que l'agglo qui puisse le faire. Et en plus ça a un impact très fort, puisque ça veut dire que c'est 26 bibliothèques, un lectorat de 20% c'est-à-dire 100 000 lecteurs qui peuvent avoir accès parce qu'ils sont mis en réseau à 100 000 documents, donc ça fait masse. On espère pousser les feux pour que la Métro le prenne en compte. Autre exemple, une opération que Jean-Jacques Gleizal, sous le précédent mandat, avait tenté de mettre en œuvre, qui s'appelait “lever de rideau“ : faire à l'échelle de l'agglo une présentation de toutes les saisons de la programmation de tous les équipements de toutes nos scènes nationales et régionales. C'était une idée assez intéressante, parce qu’il n'y a que là qu'on peut le faire, et ça permettait en contrepartie à chaque équipe de rééquilibrer leur programmation, de s'organiser pour éviter les doublons, etc. Mais même ça, ça n'a pas été possible. C'est lié à l'histoire de notre agglomération, je pense. Partout ailleurs, à Lyon ou dans toutes les villes, Marseille, Nantes, Lille, Rennes, le maire de la ville métropole est en même temps président de l'intercommunale ou de l'agglo. Là ce n'est pas le cas parce qu'il y a une tradition historique qui fait ça, et c'est un frein à une possibilité de donner cette compétence. Je pense que ce serait souhaitable. Mais je ne vois pas ça possible, en tout cas pas tant qu'il n'y a pas d'élection au suffrage universel sur la communauté d'agglo.Êtes-vous favorable à une plus grande ingérence du privé dans la sphère culturelle, par le biais du mécénat notamment?Bien sûr. Le plus grand mécénat culturel en France c'est l'État. Historiquement, ça a commencé par le mécénat royal. Après l'État en tant que tel est intervenu à partir de la centralisation révolutionnaire et puis républicaine, que ce soit du mécénat étatique ou bien du mécénat privé, à partir du moment où ce sont des entreprises culturelles qui maîtrisent les financements, je trouve que c'est intéressant. Pas d'aller jusqu'aux Etats-Unis, parce que la culture française est loin d'être celle des Etats-Unis, où elle ne marche QU'avec du mécénat. Si vous allez dans les musées aux Etats-Unis vous verrez qu'ils sont beaucoup plus riches et vous verrez que les expositions sont fantastiques. Ce n'est pas parce que la France vient au mécénat privé que la production culturelle est moins bonne. On peut regarder ce qui se passe en hollande ou les pays scandinaves où...Mais c'est une tradition qu'on n'a pas en France…On n'a pas de tradition, c'est pour ça que le mécénat doit représenter 3% du budget de la culture aujourd'hui au niveau national. Du fait de son désengagement, l'État aura à peine de quoi financer ses propres structures étatiques, je pense à l'Opéra, la Bibliothèque nationale de France, au Grand Louvre, toutes ces grandes institutions culturelles, elles vont dévorer complètement... Et d'ailleurs elles ne suffisent pas à les financer, puisqu'on est obligé de vendre aux états du Golfe arabe, ce qui est une hérésie, on est obligé de vendre nos musées d'une certaine manière. À un moment donné, les collectivités devront regarder avec les entreprises, que j'appelle citoyennes, implantées localement, s'il y a des possibilités pour ces entreprises de bénéficier d'allègements de taxes professionnelles, ou d'impôts. Il faudra certainement chercher, imaginer des logiques où l'entreprise puisse intervenir. Sans pour autant avoir un financement déterminant, qui pourrait distordre, mais moi ça ne me choque pas du tout. À quelle hauteur ? Jusqu'à 20% ça ne me choque pas. C'est-à-dire pour compenser les pertes du budget de l'état. Grosso modo dans le mandat qui vient, la perte qui va se produire sera probablement de cet ordre-là. Est-ce qu'on ne peut pas lutter aussi contre ce désengagement ? Bien sûr, on se mobilise, par exemple j'ai fait partie des gens qui ont fait une contre-lettre ; vous savez que le Président de la République et le Premier ministre ont fait une lettre à Christine Albanel et on a fait la contre-lettre. Mais de toute manière c'est une fin de cycle, c'est un problème un peu historique. Si vous prenez l'histoire dans son ampleur, sur des siècles, à un moment donné, on voit qu'il y a une fin de cycle. On n'en mourra pas. D'une certaine manière c'est un malheur mais je dis en même temps que ça peut être une chance. Regardez ce qui se passe en Espagne. Il n'y a pas de Ministère de la Culture. Il y en a un à Madrid, mais c'est surtout les généralités. Regardez en Allemagne, tout a été déporté sur les Länder, on peut tout à fait imaginer que les missions que développait l'État soient décentralisées aux conseils régionaux. On est un peu plus dans la proximité, à la bonne distance.

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