Combat poétique

Interview / Entretien avec Olivier Py, auteur et metteur en scène du puissant Êpitre aux jeunes acteurs. Propos recueillis par Séverine Delrieu

Petit Bulletin : En 2000, le Conservatoire d’Art dramatique vous passe commande d’un texte sur l’art théâtral destiné aux apprentis comédiens. Vous écrivez Êpitre aux jeunes acteurs, dans lequel vous dénoncez la disparition de la parole au profit de la communication, vous insistez sur la nécessité du théâtre, et montrez le mépris des politiques envers l’art. Ce texte résonne beaucoup actuellement, il est presque visionnaire.Olivier Py : C’est vrai que quand j’ai écrit ce texte, je ne pensais pas que dix ans après, on continuerait à le jouer. Il y a d’ailleurs, peut-être, deux trois petites choses qui ont vieillies.
Chaque fois que j’ai joué ce pamphlet, j’ai eu plutôt au contraire l’impression qu’il était écrit à grands traits apocalyptiques. Finalement, il a continué de progresser, car c’est aussi de la fiction, une métaphore.
On voit que la télé réalité est en train de devenir modélisante, et la télé réalité c’est une fiction qui cache la métaphore.Ce qui a aussi beaucoup progressé, c’est que le théâtre, et non pas le spectacle vivant, a perdu incroyablement du terrain entre la rédaction de ce texte et aujourd’hui. Il y a deux théâtres de moins pour le théâtre à Paris, un théâtre national qui devient un théâtre national pour la danse. Evidemment, je ne voudrais pas apparaître corporatiste, mais on va d’une époque où le théâtre était majoritaire à une époque où le spectacle est majoritaire.
Le problème politique que l’on a aujourd’hui, c’est que ceux qui ne s’intéressent pas au théâtre sont les élites, c’est-à-dire que le théâtre est absolument un art populaire, c’est l’art du peuple. Nos élites ont changé : aujourd’hui, elles sont surtout intéressées par le grand média, le show bizz. Et notre monde de la politique est de moins en moins culturel, cultivé. On est face à cela.Du coup, que peut-on souhaiter en matière de politique culturelle ?
Je crois qu’il faut simplement continuer. Parce que c’est très important d’avoir le peuple de notre côté, plutôt que les élites qui pensent qu’elles savent tout.
C’est bien plus important d’avoir des salles pleines, que d’avoir un président de la République qui s’intéresse au théâtre. Il se trouve qu’il y a une évolution de la société qui est très paradoxale : il y a plus de vraies passions pour la chose théâtrale aujourd’hui, alors qu’on aurait pu penser que l’on allait vers le tout médiatique ou le tout virtuel. Hors il y a un effet de balancier, de contrepoids.
Il y a de plus en plus de compagnies, de plus en plus de théâtre amateur. Et je ne sais pas pourquoi il faut toujours voir le fait qu’il y ait de plus en plus de compagnies comme une catastrophe. Elles sont de plus en plus de qualité, elles ont le goût de la littérature, des acteurs. Quand nos élites ne vont plus au théâtre, elles se privent quand même de Shakespeare, d’Eschyle, de Corneille, de Racine, de Schiller et de Büchner, c’est quand même étrange.
Nous avons des élites de plus en plus incultes. Et par contre, on a des hommes et des femmes de théâtre, des gens qui sont une sorte de prolétariat de la culture.Dans cette Êpitre, vous décrivez ce combat poétique avec un immense amour, une vibrante joie et de la dérision, de la drôlerie. Est-ce cela votre théâtre ?
La drôlerie, pas forcément. J’ai déjà écrit d’autres textes plus frontaux, plus graves. Mais à moi oui, cela m’appartient en propre : j’écris avec ce que je suis. Il se trouve que là, au départ, j’avais écrit pour moi, et quand je l’ai écrit, je le pensais comme un discours avec une mise en scène sommaire. J’aime les tragédiennes, les tragédies, mais être un acteur tragique, c’est être comme un peintre impressionniste : c’est inscrit quelque part dans le corps. Et moi, je n’ai pas cela dans mon corps.
La place qui m’était donc réservée, c’était de faire une tragédie comique Après, je l’ai retravaillée avec John Arnold et Samuel Churin dans le cadre d’une véritable mise en scène. Mais cela signifie aussi que la parole poétique, elle est configurée comme clownesque, comme ridicule dans un monde qui la renie beaucoup.Est-ce que justement le théâtre populaire ne s’enracine-t-il pas dans ces notions-là : la joie, la densité, l’extravagance, et les références littéraires ?
Les références je ne sais pas. Il y a des écritures contemporaines qui a priori n’utilisent aucune référence, même s’il n’y a pas d’œuvres d’arts qui soient nées ex nihilo, ni d’artistes qui ne créent de manière sauvage des œuvres valables pour l’humanité. Mais, oui, je crois que le théâtre populaire est à la fois l’intelligence et la fête.Vous dites aussi dans cette Êpitre votre passion pour la parole avec la nécessité qu’elle s’incarne, qu’elle s’échange. Peut-on dire que votre écriture cherche l’homme, cherche à appréhender sa condition ?
Oui, on peut le dire. C’est là où l’on rejoint la question chrétienne, à savoir s’interroger sur l’humanité de l’homme. Et pour moi la parole, c’est le signe de cette humanité. Et quand la parole est simplement l’objet d’une communication triviale, l’humanité de l’homme disparaît.Pensez-vous à écrire un autre texte sur le théâtre, métaphore de notre monde d’aujourd’hui ?
J’ai écrit les Illusions comiques, une sorte de suite plus large à plusieurs voix. Mais je pense que je reviendrais sur cette idée d’effondrement civilisationnel – même si chaque époque a connu cet effondrement.
Ce qui est important et paradoxal, c’est que je ne crois pas qu’il soit une fatalité. Je pense vraiment qu’aujourd’hui, il est de la responsabilité des élites.Êpitre aux jeunes acteurs est éditée par Actes Sud-Papiers

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