«Grenoble n'est pas élitiste»

Eliane Baracetti, la nouvelle adjointe à la culture à la Mairie de Grenoble, s’exprime sur les dossiers en cours. Propos recueillis par François Cau

Concernant le chantier de l'éducation artistique, quelles seraient les priorités : encouragement aux pratiques artistiques, pédagogie ?
Eliane Baracetti : Les deux. Les pistes que semblent vouloir prendre l'Etat, particulièrement le couple Albanel-Darcos, soit l'enseignement des arts, c'est bien, mais pas suffisant. Un enseignement des arts, s'il n'est pas accompagné d'une navette avec le monde des arts, c'est-à-dire d’allées et venues entre le monde scolaire et le fait d'aller dans lieux dévolus aux arts, théâtres, bibliothèques, musées, ne suffit pas. Sans compter que la pratique artistique est importante aussi. Si on ne fait que de l'enseignement, on retombera dans l'élitisme, parce que l'on sait bien que tous les enfants ne sont pas égaux face à la connaissance des contextes culturels. Concernant l'éducation artistique, je dois encore faire un état des lieux. Mais j'espère que l'on saura défendre ces trois aspects : l'enseignement des arts (qui sera porté par l'Etat puisque cela va s'instaurer dans les écoles et les collèges entre 2009 et 2010), la sortie dans les lieux d'arts, avec du lien sans être dans de la consommation, et encourager les pratiques artistiques. Cela pourra se faire avec les artistes et les compagnies. La Région Rhône-Alpes est exemplaire en matière de développement de découvertes artistiques. En ce qui concerne le périmètre de la Ville, c'est-à-dire les maternelles et les primaires, il faudrait que chaque enfant ait un parcours culturel. Car c'est une manière d'aider l'enfant à s'autonomiser, à se désinhiber, c'est un apprentissage du regard sur le monde. On a trop vu de personnes qui n'osent pas pousser la porte d'un théâtre, plus intimidant que le cinéma ou le musée. Ces parcours culturels permettront cette liberté d'aller, de s'autoriser à y aller ou pas, mais en tout cas de comprendre pourquoi cela existe. Par exemple, je ne mets jamais les pieds dans un stade. Par contre, je comprends très bien la présence d'un stade dans un centre de ville et de vie.

En termes d'éducation artistique, on a du mal à en France à créer un rapport direct avec l'art…
Cela fait des années que les structures culturelles travaillent avec les établissements scolaires, en donnant les clefs de compréhension. Dans le territoire de la danse, lorsque les enfants rencontrent les artistes, les chorégraphes, ils parviennent à voir et à apprécier des œuvres extrêmement abstraites. J'ai vu des élèves de CE2, CM1 assister à des spectacles de Frédéric Cellé - dont on ne peut pas dire que la danse soit figurative. Aucune dissipation, la concentration fut incroyable. Ils connaissaient les artistes, donc le travail leur est apparu familier. C'est un travail qui se fait depuis des lustres pour permettre l'accompagnement des jeunes. Si on veut le développer, il faut des moyens.

Si on reprend une interrogation soulevée pendant un débat participatif de la campagne municipale, l'accessibilité à la culture dans l'agglo n'est pas les mêmes selon les quartiers.
Je crois à la transversalité du travail au sein de la communauté d'élus. On travaille avec l'élu à la jeunesse et à l'animation, avec le secteur socioculturel. Je crois qu'il y a des choses simples à faire qui sont de l'ordre de l'apprivoisement. Il ne faut pas grand chose pour travailler avec les MJC. Il faut qu'elles se sentent invitées. Il faut qu'elles aient la facilité de confronter leurs pratiques artistiques amateurs avec la pratique professionnelle, afin de bonifier leur pratique avec des professionnels. D'autant qu'il y a énormément de lieux intermédiaires à Grenoble, même si je considère que l'excellence, l'exigence est pour tous. Sur les aspects tarifaires, j'ai le sentiment que les portes d'accès sont ouvertes : étudiants, scolaires ont énormément de facilités tarifaires, à la MC2 notamment. Mais il faut se rendre compte de ce qu'est le spectacle vivant. Puis, le coût est toujours relatif. Quand on va boire une bière, le coût ne paraîtra pas exagéré car on en a envie, on a décidé de le faire. L’argument du coût est souvent un argument fallacieux, ramené tel un prétexte pour pallier un manque d'envie. Je crois que l'on fait réellement beaucoup pour permettre que tout un chacun puisse accéder aux salles. C'est plus sur le sentiment d'exclusion qu'il faut travailler. Et je ne ressens pas Grenoble comme une ville élitiste.

Quel regard portez-vous sur l'ensemble des équipements culturels grenoblois ?
Je pense que Grenoble est une ville très dotée en musées, en centres d'art. Il y a l'école d'art, le Conservatoire, le réseau de lecture publique. Sur les arts vivants, la question n'est pas le nombre de plateaux, mais la manière dont ils sont organisés. Quand j'entendais à la fameuse réunion du SYNAVI, «on manque de théâtres», non, il ne faut pas exagérer. Si on compte le nombre de plateaux, et si on le compare avec Lyon et Marseille, 3e et 2e villes de France, vraiment, Grenoble n'a pas à rougir. C'est plutôt sur une question de tuilage de missions des uns et des autres, de structuration du réseau qu'il faut travailler. On doit aider à l'émergence, jusqu'au rayonnement national ou international. C'est plus vers une meilleure visibilité de l'organisation de la vie artistique et culturelle qu'il faut travailler, qu'en termes de ragoûts. Je ne parle pas de redéploiement.

Et concernant l'émulation entre les équipements eux-mêmes…
Emulation, est un terme à double tranchant, je préfère collaboration. Les grands équipements devraient plus travailler ensemble. Après, on ne peut pas obliger les gens.

Sur la question de la gestion des équipements municipaux par les artistes ?
Pour moi, je n'ai pas plus de preuves de réussites que d'échecs dans un sens comme dans l'autre. J'ai vu des réussites magnifiques pour des équipements gérés par des artistes, j'ai vu aussi des échecs terribles. Cette ville a vécu des choses difficiles concernant les équipements gérés par des artistes. Je ne fais pas leur procès. Mais ce qui est sûr, si l'on s'arrête à l'exemple grenoblois, il y a eu des réussites, et, sinon des échecs, du moins des situations peu exemplaires. Donc, ce n'est pas une garantie de réussite.
Réussir la vie théâtrale à Grenoble n'exclut pas de confier la gestion à des artistes, mais en ce qui me concerne, je n'en fais pas une chose nécessaire. Il faut analyser l'état, et après, on verra. Ce qui est important, c'est le projet et le contenu. Que ce soit des artistes ou des gens de la société civile qui le mènent, ce qui compte, c'est le contenu. Il faut peut-être des artistes à la tête des théâtres, mais ce n'est pas obligatoire.

Concernant la création d’un comité de suivi des orientations culturelles, discutée pendant cette réunion…
Je suis prête à revoir le SYNAVI, mais il n’y a pas que le SYNAVI, en tout cas il faut voir les acteurs culturels de la ville. Mais s'il y a un comité de suivi, il ne s'agira pas d'un comité qui jugera la politique municipale, mais d’un comité qui prendra ses responsabilités au côté de l'équipe municipale. Si c'est un comité, qui est à l'extérieur et qui juge sans vouloir prendre des positions, cela ne me semble pas viable, mais réfléchir ensemble à des dispositifs et à des choix, oui.

Si on sort du spectacle vivant, il y a le cas du cinéma. Pour une famille, une sortie au cinéma c'est un budget.
On est plutôt sur la défense du cinéma art et essai, et notamment du Méliès. Sur la politique des grandes majors de l'industrie cinématographique, c'est plus compliqué...

Jérôme Safar, ancien adjoint à la culture, a déclaré lors de la conférence de presse du Méliès : «les multiplexes, il fallait les faire» ; n’y a-t-il pas rétrospectivement un sentiment d’avoir fait rentrer le loup dans la bergerie ?
C'est utile et nécessaire, les multiplexes. Mais cela ne doit pas être exclusif. Je rejoins assez Jérôme Safar, car cela répond à une attente, une demande, il ne fait pas faire de “l'ayatolisme“ sur le sujet. En revanche, ce qui est insupportable, c'est que cela interdise un autre rapport au cinéma.
Je pense qu'il y a de la place pour tous. Je ne comprends pas qu'un projet Méliès dérange un gros multiplexe. La position de la ville n'est pas de jeter l'anathème sur la forme multiplexe, car on y voit un art éminemment populaire, c'est un lieu de vie qui ne dénature pas l'espace urbain ou environnemental, mais ce qui est plus embêtant, c'est de ne pas pouvoir faire coexister des systèmes.

La question de leur hégémonie inquiète…
Mais les collectivités territoriales réagissent et prennent des positions claires face à la réponse incompréhensible du CNC. Le Conseil Général a dit qu'il mettrait la main à la poche ; la Région décide de ne pas écouter la déclaration du CNC ; la Ville est aussi partie prenante. C'est encourageant. De mon côté, j'ai beaucoup d'espoir pour le Méliès.

Geneviève Fioraso a dit que les collectivités s'étaient mises d'accord pour continuer le projet, mais que sans l'Etat, cela ne pourra pas aller bien loin...
Non, ce qu'elle a dit surtout, et Jérôme l'a dit aussi, c'est que la Ville n'a pas un budget extensible, surtout sur le plan culturel. Puisque l'Etat se désengage, les collectivités vont devoir combler l'écart, c'est plus de 300 000 euros, mais cela va poser des questions d'arbitrage cruel : ce que l'on va mettre pour porter le projet du Méliès, il faudra le prendre ailleurs. Quand Monsieur Kermen dit : «il faut faire des choix», oui, on va faire des choix, mais c'est facile de le dire quand on n’est pas aux commandes. Or j'imagine bien la réaction des gens des arts vivants où il y a énormément d'attente. Ce que Geneviève Fioraso a dit, c'est que cela va entraîner des déséquilibres. La prochaine étape pour le Méliès, c'est de réunir les financeurs potentiels, ou réels d'ailleurs, pour voir ce que chacun peut faire. Mais ce que je tiens à dire là, c'est que cela se fera avec des arbitrages pas drôles du tout.

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