Solo

Dans ce polar social hargneux et caustique, Jean-Pierre Mocky se filme en témoin blasé d’une France traumatisée par les retombées de Mai 68. À redécouvrir. François Cau

Dans une somptueuse demeure du Vésinet, une partie fine réunit vieux notables grivois et jeunes donzelles volages. Puis des carreaux se brisent, laissant apparaître des mitraillettes qui vont se charger d’ôter la vie aux joyeux partouzeurs. Pendant ce temps, Vincent Cabral (Jean-Pierre Mocky, une gueule de jeune premier sur le retour), violoniste de croisière, carotte des diams aux représentants de la haute. Fraîchement accosté, il part à la recherche de son frère Virgil, soupçonné par les condés d’être le cerveau des assassinats du Vésinet. Enhardi par les succès de ses comédies (de Snobs ! aux Compagnons de la marguerite), Jean-Pierre Mocky renoue avec la critique sociale acerbe, genre qu’il avait déjà brillamment abordé dans La cité de l’indicible peur. Il faut dire que le contexte post Mai 68 s’y prête à merveille, et permet au réalisateur / scénariste de brosser une galerie de portraits peu reluisante. Flics aux jugements expéditifs, étudiants terroristes pétris de radicalité, le personnage de Mocky, macho gouailleur aux principes dépassés, traverse quant à lui le récit avec distance dans cet entredeux mortifère. Il prend même un malin plaisir à se mettre en opposition systématique avec chacun des deux camps, ne dévoilant sa “scandaleuse morale“ que dans le dernier tiers : vu qu’on ne peut plus renverser le système, autant l’exploiter jusqu’à la lie. Sous les pavés, la rageDerrière le cynisme bon teint se dessine une authentique mélancolie, une profonde tristesse dans ce constat brut que les idéaux sont nécessairement voués à être bafoués d’une façon ou d’autre. Point de profond désir de révolte dans ce film - qui fut à l’époque interdit aux moins de 18 ans - mais au contraire une escalade absurde de la violence, dans ce qu’elle a de plus vaine. Tourné presque exclusivement de nuit, rythmé par une sublime complainte de Georges Moustaki revenant comme un leitmotiv dépressif tout au long du film (qui a tendance à vous rester en tête pendant un bon moment), Solo a l’immense mérite de nous dévoiler le vrai Mocky : ni anarchiste, ni conservateur, mais juste profondément blasé, et revenu de toutes les formes d’idéologie de vie en communauté. Un individualiste forcené, à qui on fait payer le prix fort sa liberté. Réalisé dans des conditions budgétaires extrêmement précaires, Solo pâtit des écueils habituels de la plupart des productions de Jean-Pierre Mocky – le recours au hors champ pour les scènes spectaculaires, un casting moyennement convaincant (Denis Le Guillou, l’interprète de Virgile, est tout bonnement insupportable), des raccords hasardeux… Mais le souffle épique de sa mise en scène et le ton désespéré de son script atténuent largement les moindres dégâts, et en font même une œuvre maîtresse de son auteur.Solo De et avec Jean-Pierre Mocky (1969, Fr, 1h29) avec Denil Le Guillou, Anne Deleuze…Jeu 15 mai à 22h, à la Cinémathèque

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