Pour une parole libre

Il y a quarante ans, étudiants, ouvriers, fonctionnaires occupaient le pavé grenoblois en écho aux événements parisiens de Mai 68. Cette mobilisation sans précèdent a été une vraie de lame de fond libérant les corps, les esprits et la parole. Loubna Bouhrizi

L'objectif ici n'est pas de commémorer une énième fois l'anniversaire de la plus grande grève de l'histoire, d'autres s'en chargeront dépoussiérant la fameuse boule à neige "Mai 68 avec la Sorbonne à l'intérieur ". Sortie de rigueur tous les 10 ans. Cohn-Bendit, Krivine, sont devenus en l'espace de 40 ans les emblèmes de cette génération 68. A Grenoble, ils s'appellent Pierre Saccoman, Jean-Pierre Juy. Certes, ils n’ont pas eu le même poids que les premiers dans le paysage médiatico-politique mais ont participé à leur juste place à cette révolte printanière. Faut-il sans doute le rappeler : Mai 68, c’est des milliers d’anonymes dans les rues, partout en France. C’est vrai que l’Histoire a cette fâcheuse tendance de surexposer Paris, et le reste, ben on verra. Placer un événement national voire international à l'échelle locale apporte un tout autre regard sur l’histoire. A Grenoble, comme dans les autres villes de province, le mouvement est spontané et imprévisible. Début mai, étudiants descendent dans la rue pour « libérez nos camarades ! ». A ce moment-là, personne ne pensait vivre un moment historique. Et surtout personne du côté de la mairie, comme de la préfecture ne pouvaient penser que ces événements feraient tâches d'huile à Grenoble. Grenoble, laboratoire d’idées
1968 s'annonce comme une année faste. Après les JO en janvier 1968, Grenoble devient en quelques mois le point du monde que l'on doit visiter. Cet événement redessine un tout autre visage urbain. Grenoble a la réputation de ne pas faire comme les autres villes. En vrai laboratoire d’idées, la ville innove en matière de politique sociale et culturelle. C'est à Grenoble, par exemple, qu'en 1961 est ouvert le premier planning familial de France. La municipalité de Dubedout tente également l'expérience inédite de la démocratie participative. Déjà, à cette époque, militants associatifs et citoyens ne croient plus en l'efficacité des partis politiques. Pour eux, le changement ne peut se faire qu'en partant de la base. Et ça, le nouveau maire de Grenoble, Hubert Dubedout l'a très bien compris. Alors quand les événements parisiens ont éclaté, Grenoble s'engouffre tout naturellement dans la brèche. Très vite, un groupuscule trotskiste prend les choses en main. Pierre Broué, professeur à l'IEP en est le cerveau. Il greffe autour de lui les étudiants les plus engagés. Pour P. Saccoman et ses camarades, le grand soir est arrivé. Les affrontements parisiens sont l'occasion tant espérée de faire leur révolution. Mais les revendications sont disparates. Que veut-on finalement ? La démission de De Gaulle, une société plus moderne, des augmentations de salaire, améliorer les conditions de travail. En fait, mai 68, c'est un peu tout à la fois. Et c'est peut-être cela qui va faire avorter cette révolution naissante. De Gaulle triomphe aux élections législatives de juin. Et étudiants partent en vacances comme si de rien n’était. Le mythe du grand soir est tombé comme une lettre morte. Mais les plus engagés veulent quand même y croire. Ces événements ont ouvert la voie à une parole libre et spontanée. Mai 68 doit être le début d’une profonde critique de la société par les actes et les mots. Je parle, donc je suis
Fin juin, la Maison de la culture en grève dès le début du mouvement ouvre exceptionnellement. Elle donne carte blanche aux étudiants pour s'exprimer. Leur révolte à peine échouée, les étudiants sentent le besoin d’extérioriser leurs frustrations. Cette séance mélange théâtre et débat sur le thème de la critique. Un agent des renseignements généraux présent, note l'atmosphère hallucinante d’une des œuvres théâtrales : "les filles sont en pantalon et les garçons torses nus. Courant de-ci de-là, sautant, rampant, criant, aboyant à l'occasion ". Ce qui a sûrement dû les choquer pour l'époque... Pendant près d'une heure, les acteurs mêlés aux spectateurs interpellent leur société. Tout le monde en prend pour son grade, bourgeois, religieux, politiques, dirigeants. Cette séance n’est que le début d’un cycle de conférences-débats qui se tient tout l’été à Grenoble. Etudiants, intellectuels souhaitent ainsi poursuivre cette contestation. Il est alors certain que les Français n’ont pas pris le pouvoir mais ont pris la parole. Et ne veulent plus la céder d’aussitôt. Prendre la parole devient une revendication existentielle : je parle donc je suis ! Voilà ce qu’il faut retenir de Mai 68. Car au-delà des considérations politiques Mai 68, est avant tout la libération de la parole pour une société qui ne veut plus se taire.

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