Horizons à demi barrés

Le Magasin propose la première exposition monographique de l’artiste géorgien Andro Wekua sous forme d’un triptyque voyageur : une installation conçue pour l’espace de la rue, Sunset, une exposition collective dans les galeries, I Love the horizon, et la publication d’une Livre d’artiste, masse accumulée de documents et d’ images. Des gestes artistiques qui dialoguent à travers le temps et les espaces. SD

Un marron, couleur terre recouvre tous les murs de l’espace de la rue. Sensation d’en être recouvert. D’être enterré. Pas tout à fait au bout de l’espace, une première pièce de l’artiste géorgien s’élève, Sunset. Une autre sorte de haut mur constitué de carreaux en céramiques sur lequel un motif extrait d’un dessin de l’artiste et grossi 600 fois, a été serigraphié sur la surface de la façade. Vision d’un coucher de soleil.
Ce panneau sorti d’un décor de théâtre, difficilement mobile, provoque une sensation de poids. La structure, qui porte la «peinture » visible, est aussi accessible si l’on contourne cette image. Un coucher de soleil sur un ciel bleu légèrement nuageux. Ce soleil rougeoyant diffuse des rayons orangers sur une terre plate d’un rouge inquiétant. Une terre désertique. Ce coucher de soleil, ce panneau, cette structure, semble venir boucher, obstruer un horizon, ou venir faire diversion. La peinture gigantesque, pas forcément apaisante, absorbe comme dans un trou noir béant, et couvre une réalité impossible à regarder. Andro Wekua, artiste né en 1977 à Sochumi en Géorgie, fut marqué par la guerre civile qui déchira ce pays. Ses expressions romantiques du phénomène naturel, expriment dans le même temps, un sentiment d’intranquillité. Sunset fait échos aux cieux rouges et mauves tourmentés de Multiple, douze sérigraphies aux tons obscurs d’un couché de soleil et publiées dans le livre. Dans les galeries, une exposition collective, conjointement élaborée par le critique d’art Daniel Baumann et AndroWekua, réunit une sélection d’œuvres d’artistes de plusieurs époques, mouvements (photographies, dessins, installations, poésies, vidéos) qui dialoguent, se nourrissent mutuellement. I Love the Horizon ouvre sur les possibles perspectives et lignes de fuite.I would be abstract
Andro Wekua, outre ses personnages inquiétants, est connu pour ses tableaux, sculptures où se mêlent photographies de famille, images, objets trouvés qui tissent des récits oniriques. L’exposition collective, assume cette même démarche, mais avec les œuvres d’autres artistes. Dans des espaces aérés, peu chargés, salles noires ou blanches en alternance barrées par des murets, on traverse des horizons lumineux, puis obscurs. Passage de l’espoir (l’imaginaire, la poésie, l’abstraction, l’art, les représentations mentales), au réel, des horizons bouchés.
Chaque salle, un peu à l’image du collage, rapproche des œuvres diverses évoquant le passage du temps, la poésie, l’art, et questionnent la notion d’abstraction, ces possibles ouvertures, ces moteurs de liberté. Magnifique film en noir et blanc de la polonaise Ewa Partum, Poems by Ewa (1972). L’artiste découpe des lettres dans le roman de Joyce Ulysse qu’elle jette à la mer comme pour rompre avec la littérature magistrale afin de créer son langage. Film d’une grande poésie, tout comme New horizon is a wave, une phrase encadré, proche de la pièce blanche de Seth Price.
Œuvres minimales, sensibles permettent des respirations. Même sensation dans la salle consacrée à la poésie : des textes de Derek walcott, Anna Moschovakis, Anne Sexton, Marina Tsvetaeva, accrochés sur les murs en grand format, se lisent près de l’image en boucle de Trisha Donnely. Sensation de suspension en même temps que d’une profonde intensité à la lecture d’écrits puissants. Les photographies de Xavier Maria y Campos Rhiannon King Kong, dévoile sa femme dans des positions et de lieux divers, clichés diffusant un abandon, une familiarité, une proximité. De Rita Ackermann, la série de photographies aux scotchs dorés Nun with Vaccum Cleaner (2005) fait échos à la photographie (Weather) de Ketuta Alexi-Meskhishvili, étrange objet troué. Des ensembles d’œuvres en regard, en dialogue. Les dix dessins au crayon sur papier d’hôtel de Martin Kippenberger prolongent les portraits de Jacqueline de Picasso, et évoquent le passage du temps, tout comme le rapprochement de la photographie la femme à la moto Untitled (party) de Richard Prince et un dessin d’Yves Saint-laurent, une femme près d’un cheval. Les œuvres s’imprègnent, comme les artistes à travers le temps, des œuvres passées. Andro Wekua s’approprie ces gestes artistiques familiers, et nous livre sa part autobiographique. Après ces espérances, les horizons se bouchent. Avec les documentaires de Luis Buňuel Las Hurdes, (1932) et Salt for Salvetia (1930) du géorgien Mikheul Kalatozishvili, tournés dans les montagnes géorgiennes et séparés par un autre muret en brique grise, l’envers du décor se dévoile. En sortant de cette salle, le visiteur se retrouve derrière le coucher de soleil. Andro Wekua Sunset / I Love the horizon au Magasin (CNAC) jusqu’au 24 août

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