La Soledad

Deuxième film de Jaime Rosales, couvert de prix en Espagne, «La Soledad» impose une forme aride, radicale et pourtant incarnée pour raconter l’angoisse du quotidien madrilène. Christophe Chabert

Dans un cinéma espagnol loué pour ses productions de genre et ses grands auteurs (d’hier — Saura, ou d’aujourd’hui — Almodovar), l’apparition de Jaime Rosales contribue à brouiller les cartes. Voilà un cinéaste dont les préoccupations formelles sont plus importantes que les sujets qu’il traite et pour qui la mise en scène permet de transcender la banalité (voulue) des situations. La Soledad récite ainsi ce défilé morose et quotidien : une mère célibataire à la recherche d’un appartement, trois sœurs se disputant la vente de la maison familiale, leur mère ouvrant chaque matin sa petite épicerie… Rosales marque tout de suite son territoire esthétique auprès du spectateur : pas de musique, de longs plans fixes et surtout une utilisation inédite du split screen ; l’écran se sépare en son milieu pour suivre la même scène sous deux angles différents. Mais l’un des deux plans reste vide, l’action se déportant d’un cadre à l’autre — parfois, le temps que le personnage arrive d’un plan à l’autre, les deux sont inoccupés. Ce dispositif qui permet d’habitude de voir plus ou mieux, crée chez Rosales comme un gouffre figuratif, une menace sourde au milieu d’une action a priori dénuée d’enjeux. Au bout d’une heure, on pense même que le cinéaste va trop loin avec un très long plan à la limite du supportable, dans un bus où il n’y a rien sinon une mère et son bébé. L’insupportable, le vrai, arrive en fait après, et l’inquiétude, jusqu’ici sous-jacente, va envahir l’écran. Rosales éprouve d’abord les nerfs et la patience du spectateur, puis ne lui offre aucune délivrance ; au contraire, il le plonge dans l’enfer de la réalité.La froideur humaine
Impossible de ne pas voir là l’influence écrasante du Jeanne Dielman de Chantal Ackerman, de toute façon un des films séminaux du cinéma contemporain, de Gus Van Sant à Bruno Dumont… Mais Rosales, à la différence de beaucoup d’autres cinéastes jouant sur cet assèchement du cadre (des situations quotidiennes filmées avec un minium de dramatisation), a un atout pour accrocher le spectateur : un vrai talent de directeur d’acteurs. Car La Soledad est un film puissamment incarné malgré son apparente froideur esthétique. Loin de chercher une distanciation dans leur jeu, les comédiens sont au contraire poussés vers le naturel, et ce sont bien les visages et les corps qui disent l’étendue de la dévastation de leurs personnages. Comme son titre l’indique, La Soledad n’est pas le genre d’œuvre qui cherche la rigolade et l’œillade complice avec le spectateur ; il voit le monde en noir, et ne promet aucune issue, à peine une maigre perspective de chaleur humaine. Et pourtant, il se dégage de ce film anxiogène une indicible émotion, qui déborde le jansénisme auteurisant de ses partis pris formels, et leur donne une réelle légitimité.La Soledadde Jaime Rosales (Esp, 2h15) avec Sonia Almarcha, Petra Martinez…

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