Les métamorphoses

La 20e édition des Rencontres du Jeune Théâtre Européen est placée sous le signe de l’Orestie. Elle creuse ainsi sa réflexion sur le théâtre grec et s’enrichit de la venue de nouvelles jeunes compagnies. Propos recueillis par Séverine Delrieu

Le Petit Bulletin : 20 ans de Rencontres du Jeune Théâtre Européen. Quel bilan faites-vous ?
Fernand Garnier :
Pour des raisons d’arithmétique et de dates symboliques, nous avons décidé de faire ce bilan en 2009. En effet, les Rencontres ont débuté en 1989. Mais la 20ème édition, c’est vraiment cette année. Ce que je peux dire, c’est qu’en appelant cette manifestation les Rencontres du jeune théâtre européen, nous voulions montrer que l’Europe était ouverte sur le Monde. Cette manifestation réfléchit à la construction européenne. A travers elle, nous pensons que l’Europe, ce n’est pas seulement l’économie, ce n’est pas seulement un marché, ce sont des valeurs, une culture riche et diversifiée.S’il est encore trop tôt pour faire un bilan plus poussé, quelles difficultés rencontrez-vous encore – financières, manque de reconnaissance?
La première chose à dire, c’est que la manifestation existe depuis 20 ans. Au départ, nous n’avions pas de représentation précise du temps. C’est-à-dire que 20 ans plus tard, c’est une victoire qu’elle existe encore. Mais surtout, le sens que nous voulions lui donner au départ, se révèle extrêmement fécond encore aujourd’hui. Ce qui me frappe, c’est de voir à quel point ce projet des Rencontres a permis à un réseau du jeune théâtre européen de se structurer, et à quel point il est riche d’idées : c’est comme s’il y avait un cœur qui n’avait jamais cessé de palpiter et qui avait engendré de nouvelles formes. Ce qui me frappe aussi, c’est que tout ces gens qui sont venus aux Rencontres au fil des années, ces acteurs ont le désir de revenir : des liens se sont crées entre Grenoble et des équipes européennes. D’autre part, sur Grenoble même, les Rencontres ont un statut atypique.C’est-à-dire ?
C’est une manifestation qui est à la fois officielle, reconnue…En termes financiers aussi ?
Nous avons une convention avec le Conseil Général, avec le Conseil Régional, avec le Ministère des Affaires Etrangères, et depuis cette année avec l’Union Européenne…Via quel dispositif ?
C’est une formule qu’ils ont proposée cette année. Ils ont fait un appel à projets sur 3 ans, et ils ont retenu assez peu de projets, puisqu’il y en a 47 au niveau de l’ensemble des 27 projets européens. Le Crearc a été retenu. Nous sommes très contents. Ce n’est pas peu dire qu’il y a une reconnaissance absolue. Au niveau de la Ville de Grenoble, nous avons une convention en projet depuis 3 ans. La Ville nous apporte son soutien technique, et financier. Mais nous trouvons qu’il est insuffisant. Nous avions pensé qu’avec la disparition du Festival de Théâtre Européen, une partie des fonds du Festival pouvait glisser sur les Rencontres, mais en fait, non. L’Assemblée Générale qui s’est tenue en mai dernier, le Conseil d’Administration du Crearc ont exprimé ce sentiment que l’appui de la Ville n’était pas suffisant.Comment l’expliquez-vous ?
C’est aux intéressés qu’il faudrait poser la question.... Je vais me faire le porte-parole de certains de l’Assemblée Générale : ils disent « on ne comprend pas pourquoi dans les discours des représentants de la Ville et du Maire à l’occasion des Rencontres, ils expriment la convergence totale des Rencontres avec la politique de la Ville. Pourtant, lorsqu’il s’agit de passer aux finances, il y a plus de retenu…Quelle est la subvention que vous avez de la Ville ?
40 000 euros depuis 4 ans. Cette somme a perdu en pouvoir d’achat. Et, compte tenu simplement de ce fait, cela demanderait un réajustement. Puis, c’est une manifestation qui mériterait plus, parce qu’il y a la manifestation elle-même, et tout le fonctionnement du réseau en cours d’année. Notre fonctionnement s’inscrit dans la tradition de Grenoble, l’innovation. Les Rencontres, vraiment, se situent dans cette tradition innovatrice. Elles n’existent nulle part ailleurs, non seulement en France, mais aussi en Europe. Tous les gens qui viennent nous disent : c’est unique. Certains d’entre eux, à partir de l’expérience de Grenoble, ont monté un projet similaire avec la spécificité de leurs pays, de leurs villes…Pour en revenir à la programmation de cette année, vous êtes dans le prolongement d’Antigone de l’édition précédente, avec l’Orestie d’Eschyle, donc de la tragédie grecque…
L’année dernière effectivement, lorsque nous avons fait ce grand débat autour d’Antigone, nous avons eu la confirmation que les problématiques qu’aborde le théâtre grec, sont d’une extraordinaire actualité. La problématique de l’Orestie est celle du passage de la vengeance à la justice publique. D’où le lien avec le grand débat sur « de la Barbarie à la Démocratie ».
Oui. Dans notre monde contemporain, nous le voyions à l’œuvre : certains états se font justice eux-mêmes. Comment sort-on de cette situation du sang qui appelle le sang ? La communauté internationale essaie d’élaborer des structures encore balbutiantes, telles que le tribunal international. C’est ce qu’Athéna propose de faire à la fin de l’Orestie. La cité élit 12 jurés qui vont juger Oreste : ce n’est plus réclamer le sang pour le sang, mais tenter de comprendre ce qui s’est passé et comment on en est arrivé là. C’est tenter de trouver la solution qui permette aux différents partis d’être reconnus dans leurs souffrances, et de reconnaître aussi les torts. Justement, Athéna qui est confrontée aux puissantes Erinyes, les déesses des profondeurs de la terre qui réclament le sang, Athéna donc, leur propose de veiller sur la cité. Elles deviennent les Euménides, les bienveillantes. Il y a là une transformation possible, même si l’histoire, n’est qu’un éternel recommencement.Pour le grand débat, qui interviendra?
On a invité Marco Pernich, Directeur du Studio Novecento de Milan, qui va parler de la politique : du passage de la royauté légitime à de la tyrannie, et de la tyrannie à la démocratie.
Maryvonne David-Jougneau, sociologue va intervenir sur l’aspect de la filiation et de la médiation dans les conflits.
Et Thierry Lévy, avocat et écrivain, spécialiste des problèmes de justice, parlera de l’aspect juridique, soit comment on met en place une justice.Le reste de la programmation est-il en lien avec ce thème général ?
Non. Elle s’est faites collectivement. Avec le réseau.Ce dernier s’est-il élargi ?
Oui. La Compagnie Empreintes de Ouagadougou, que j’ai découvert au Festival de Ouagadougou en octobre dernier, présente un spectacle sur une situation typiquement africaine : la guerre civile, les massacres. Des liens vont se faire évidemment avec l’Orestie.
Une compagnie slovène, les Théâtreux, jouera un texte sur la problématique de la Belgique, le fédéralisme, mais ramenée à la problématique de l’ex-Yougoslavie.
Un groupe du Danemark, une sorte d’école de théâtre que nous ne connaissons pas, mais qui nous a été conseillé par une personne membre du réseau, viendra présenter son travail.Une compagnie de Jérusalem aussi ?
Qui jouera un texte que j’ai écrit d’après Le journal du ghetto et autres contes de Janusz Korczak. Tamara Mielnik, en a fait une adaptation théâtre, danse et vidéo. On a aussi le théâtre de Omsk qui vient de Sibérie, une institution importante. Ils ont un grand théâtre, différentes compagnies. C’est une de ces compagnies qui vient jouer un texte de Topor en français et en russe. Leur metteur en scène, Serguei Timofeev, est un très grand. Il y aura aussi l’Impacta théâtre de Barcelone.Outre le traditionnel spectacle de clôture en plein air, le théâtre de rue sera renforcé lors d’une journée. Y a-t-il un lien avec la réflexion sur la démocratie ?
Oui. En fait, à un moment donné de l’histoire des Rencontres, et pour les faire connaître, nous avions mis en place la parade d’ouverture, sorte de défilé des troupes des compagnies européennes. C’était sympathique. Nous avons évolué vers la parade de clôture. Puis, cette parade a évolué vers la parade - spectacle de clôture. Et cette année, L’Orestie sera dans les rues, puis au Théâtre de Verdure. L’année dernière, on avait fait des interventions théâtrales sur la Place Felix Poulat. On s’est dit que c’était intéressant de le développer durant un après-midi. Nous aurons 18 spectacles en salle, et certaines compagnies joueront aussi dans la rue. Les XXèmes Rencontres du Jeune Théâtre Européen du 3 au 13 juillet (Théâtre Prémol, Théâtre 145, Théâtre de Verdure)www.crearc.fr

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