Fan des années 80

Porter un regard sur ce qu’était l’art et les artistes de la décennie 80 : tel est l’objectif du Magasin, musée d’art contemporain de Grenoble. Premier volet de ce projet en deux parties avec Espèces d’espace, réflexion sur des années de grands changements. Aurélien Martinez

Les années 80. Internet fait son apparition. E.T. envahit la terre. Madonna et Michael Jackson explosent. Roger Waters quitte les Pink Floyd. Le sida entre en scène. Le mur est bien là. Reagan et Thatcher s’éclatent avec l’économie de leur pays respectif. Et puis, au milieu de tout ce foutraque, il y a les gens. Mai 68 est terminé. Les Trente glorieuses aussi. L’individualisme s’impose dans les pays industrialisés. Tous ces chamboulements impliquent la redéfinition du rapport entre espace public et espace privé. Et une autre, corollaire : celle de communauté, lieu de repli idéal en ces temps instables.

Chez moi, chez toi, chez nous

Fin des années 70. La sphère publique s’émiette. Or, on n’est plus avec la génération qui veut faire la révolution à tout prix. Pour essayer d’appréhender la société, les artistes s’intéressent alors à l’espace public, à sa nature même. Et c’est le moment où ils vont se pencher sur l’architecture. Au centre d’une salle du Magasin trône ainsi une pièce de Thomas Schütte (connu des Grenoblois car le Musée de Grenoble possède certaines de ses œuvres) datant de 1984 : un long chemin, sur une montagne en tissu, menant à un bâtiment. Sur les murs, un tableau de l’allemand Lugder Gerdes, mettant en avant l’architecture italienne de la Renaissance et ses grandes places publiques : des lieux de communication et d’échanges révolus, semble s’écrier l’artiste. Car c’est au cours des années 80 qu’émerge la première génération cocooning. On est chez soi. Chacun chez soi. Il ne s’agit plus de changer la société mais de se l’approprier. Deux exemple frappants par deux artistes à la thématique proche : l’Allemand Thomas Ruff et la New-yorkaise Laurie Simmons. Ils ne se connaissent pas, vivent à des milliers de kilomètres, mais se posent des questions similaires. Quand le premier, avec sa série de photos baptisée L’Empereur, se demande comment vivre dans cette société, comment se comporter, la seconde développe un discours féministe avec des clichés mettant en scène des petits personnages féminins dans des taches quotidiennes, qui semblent dire ironiquement : reste chez toi ma belle, dans ton intérieur, tu sembles si bien… Un intérieur que l’on veut néanmoins ouvrir artificiellement sur l’autre, sur l’extérieur ; ce que nous montre le Français Bertrand Lavier avec Landscape painting and beyond, une pièce surprenante. À la fin des années 70, la mode était aux papiers peints représentants des paysages (une plage en été, un sous-bois en automne, une forêt enneigée en hiver…). L’artiste s’en sert de matériau de base, pour les repeindre, les prolonger, les poétiser.

Entre nous…

L’homme est donc perdu dans cette nouvelle société violente sous plusieurs aspects. Des résistances s’opèrent. A New York notamment, ce que nous montre très bien cette exposition (voir ci-contre). Et dans ce nouveau monde chaotique, libéral, c’est le moment où les artistes se lient par leur travail. Beaucoup se photographient entre eux. Deux œuvres présentées rentrent dans cette lignée : une de l’Allemand Axel Hütte, qui expose une galerie de portraits d’artistes américains de façon très brute, sans chercher à magnifier le visage du sujet ; et une autre de David Robbins et Allan McCollum, qui ont eux aussi photographié des artistes américain – on leur doit le portrait le plus célèbre de Jeff Koons ou la seule photo autorisée de Cindy Sherman – mais d’une façon très propre, très glam, comme dans un studio : le contraste est saisissant. Pour finir, le Magasin pose la question de la relation entre cette communauté artistique et son marché, avec des œuvres évoquant la notion de collection, de la valeur de l’art. Le meilleur exemple vient sans nul doute du Français Philippe Thomas qui, non sans provocation, réalise son autoportrait… avec le portrait de ses collectionneurs. Qui fait l’art ? Qui fait l’artiste ? Qui lui permet de s’exprimer dans la sphère publique ? Une question qui tombe à pique en ces moments économiquement troubles…

Espèces d’espace
jusqu’au 4 janvier,
au CNAC - Le Magasin

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