L'ivresse du pouvoir

En cette période pré-hivernale incitatrice au cocooning égoïste, le metteur en scène flamand Guy Cassiers nous sort violemment de notre léthargie avec trois pièces d’une virulence extrême sur les méfaits du pouvoir. Un véritable coup de poing là où ça fait mal. Aurélien Martinez

Qu’est ce que le pouvoir ? Comment se manifeste-t-il ? Pourquoi est-il tant dévastateur ? Des questions que le théâtre se pose constamment, depuis les grandes tragédies antiques en passant par Shakespeare, Brecht et consorts. Le metteur en scène flamand Guy Cassiers, avec son ambitieux triptyque présenté en néerlandais surtitré, fait sien toutes ces références pour en tirer un matériau puissant, violent et dénonciateur. Il offre ainsi une vision négative du pouvoir et de ses dérives intrinsèques. L’idée n’est pas nouvelle. Montesquieu l’avait déjà formulée il y a 250 ans dans De l’esprit des lois : «C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser». Mais Cassiers actualise ce constat, notamment en le confrontant de plein fouet aux pires heures du siècle dernier…

À l’intérieur

Trois pièces donc, comme un impressionnant coup de sang contre notre monde contemporain. Premier volet et première claque avec Mefisto for ever, pièce monstre de Tom Lanoye, aux ressorts dramatiques évidents. À Berlin, une troupe de théâtre répète Faust, sous la direction de Köpler, un acteur célèbre croyant en la force politique du théâtre. Mais l’époque est trouble, Hitler vient d’arriver au pouvoir. À partir de là, un choix doit être réalisé : faut-il tout arrêter et fuir, ou lutter de l’intérieur sous peine de se compromettre ? Une partie de la troupe fera le premier choix ; mais Köpler, ne voyant pas - ou ne voulant pas voir - ce qui risque d’arriver, décidera de rester, et finira malgré lui en vitrine de l’art nazi. Basé sur le roman de Klaus Mann publié à la veille de la seconde guerre mondiale, Mefisto for ever résonne encore aujourd’hui de toute sa force. Comme à Anvers (Belgique), où la droite populiste gagne du terrain politique : c’est justement dans cette ville que Guy Cassiers dirige son théâtre. Avec Mefisto for ever, il choisit donc de présenter des hommes en perdition, confrontés à des choix cruciaux. Personne ici n’est directement jugé. Il s’agit simplement de mettre en lumière la force d’attraction d’un pouvoir sombre qui a pour simple but d’utiliser l’art à des fins manipulatrices. On retient ainsi une scène glaçante, le discours du Boiteux (Goebbels) sur le théâtre ; discours répercuté par l’écho et la vidéo. Car Cassiers utilise des procédés scéniques intelligents sans en faire des artifices, ce qui intensifie davantage la force du texte.

Hitler sur scène

Le pouvoir, ce sont des êtres qui le subissent, mais aussi d’autres qui l’incarnent, ce que montre Cassiers dans la deuxième partie de son triptyque. Avec Wolfskers, il convie sur scène trois figures du siècle dernier - Lénine, Hitler et Hirohito - que l’on suit au cours d’une journée. Trois mythes qui ont réussi à théâtraliser leur vie pour devenir des héros censés être immortels. Le texte de Jeroen Olyslaegers est tiré de trois films du cinéaste russe Alexandre Sokourov. L’idée est la même que dans Mefisto for ever, mais en plus sombre encore. Cassiers choisit de présenter ces hommes à des moments où tout est fini pour eux, où le pouvoir les aura définitivement anéanti (Wolfskers est le mot flamand pour la belladone, une plante vénéneuse). Pour finir, Casiers retrouve Tom Lanoye (auteur de Mefisto for ever, si vous suivez bien !) avec Atropa, la vengeance de la paix, dernier volet du triptyque. Atropa, en grec, signifie aussi belladone. Les deux hommes poursuivent ainsi leur idée sur les ravages du pouvoir. Il s’agit ici de réinterpréter l’Iliade, du côté des femmes, les victimes de la guerre des hommes. C’est l’agonie des grandes tragédies grecques mêlée à des propos contemporains (Agamemnon s’empare, par exemple, des mots de Bush). Un magnifique retour sur notre histoire pour clôturer un triptyque qui se veut très sombre sur notre monde contemporain et son avenir.

LE TRIPTYQUE DU POUVOIR
Mefisto for ever du 13 au 15 novembre, Wolfskers les 18 et 19 novembre, Atropa les 20 et 21 novembre,
au Grand Théâtre de la MC2

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