Encore à l'aube

À un âge où d'autres écument les clubs de bridge, Raymonde Jonas passe ses soirées au cinéma, s'autorise couramment des nuits blanches avec DJ et court les vernissages. Rencontre avec cette figure des nuits grenobloises, attachante et presque ordinaire. Bernard de Vienne

La musique, Raymonde Jonas a toujours baigné dedans. Enfance au Maroc, où son père avait été premier flûtiste et chef d'orchestre. «Il y avait beaucoup de musique à la maison, ma mère chantait des airs d'opérette». Au-dehors, elle est bercée par les musiques juive ou arabe ; «mais aussi les senteurs, les couleurs... On avait un ami peintre, mon père avait acheté de ses œuvres et à 12 ou 13 ans je faisais de la peinture à l'huile». Va pour la peinture. Après un bac de philo, à 17 ans elle postule pour étudier à Rennes, et devenir prof d'arts plastiques. On est au début des années 60, Raymonde a obtenu une bourse d'études, le destin la verrait bien en Bretagne mais pas la nation : «On m'a dit, “mademoiselle vous avez choisi des études de luxe, on supprime votre bourse“». Ce qu'il faut pas entendre. Pour Raymonde, l'art est essentiel, sous toutes ses formes, c'est ce qu'elle a toujours dit à ses élèves par la suite. À ceux qui doutaient de son utilité, elle répondait sous forme de question : «Enlevez les arts du monde. Qu'est-ce qu'il reste ? C'est ça la question». Elle est têtue et refuse d'entrer en lettres pour garder ses aides. La voilà bientôt à Grenoble où elle a de la famille. «On avait déjà décidé que l'art était un luxe»
Elle s'inscrit à l'école d'art « qui soi-disant préparait à un concours pour une école parisienne». Elle rencontre le père de sa fille, devient maîtresse auxilliaire-précaire pendant huit années avant d'être titularisée, et ne quittera plus la ville. «Très jeune, je me suis rendue compte d'une vie culturelle intéressante. Il y avait la fac, le Musée de Grenoble, le Magasin... on sentait que ça bougeait». De ses années d'enseignement, pendant lesquelles elle élève sa fille, elle ne regrette rien. «J'étais heureuse dans mon boulot, passionnée, avec toutes les difficultés qu'il peut y avoir quand on est prof de collège». Une difficulté, pas la moindre, c'est de voir l'art toujours relégué au second plan. Elle n'oublie pas que déjà à l'époque de ses choix d'études, «On avait décidé que l'art était un luxe». Toute sa vie elle entend que «si un poste doit sauter, ce sera celui des arts plastiques». Elle a, chevillée au corps, la conviction que tous les enfants doivent avoir un enseignement artistique très jeune. «Les privilégiés ont toujours le choix, pas les autres. Les enfants doivent savoir lire, écrire et compter, d'accord. Mais si ce n'est que pour faire du commerce ou la guerre !». Pas de temps à perdre
Elle commence à vivre la nuit. Pas pour sortir - elle n'a pas le temps. Mais pour corriger des copies, peindre, dessiner, faire la cuisine... Elle met souvent le réveil à 3h du matin et profite du silence, d'être fraîche et dispose. Ça lui plaît. Elle se repose le jour, capable de s'endormir «n'importe où, n'importe quand, n'importe comment» pour quelques minutes de sieste réparatrice. À 24 ans, sa fille quitte la maison, Raymonde est absorbée par la nuit, elle plutôt casanière devient boulimique de sorties mais reste intransigeante : «Il faut que ça m'enrichisse, sinon c'est du temps perdu. Quand je me plante, je sors épuisée, énervée». Du coup, ses amis ne lui proposent jamais de mauvais plan. Cinéma, musique, spectacles, expositions et soirées, elle part parfois après le travail à l'Hexagone, mange son pique-nique dans sa voiture, y fait une sieste et va au spectacle reposée. Avant de reprendre les cours le lendemain. Elle confesse avoir enseigné après des nuits blanches. Plus jeune, elle était «choquée qu'on ne puisse pas danser sans penser à la drague» et ne pratiquait que peu, mais passait quelques nuits endiablées chez des amis antillais. Désormais retraitée, initiée par une collègue (DJ Rescue), elle danse au milieu des gamins de 20 ans au bar de la MC2 lors des soirées electro. «Trop de gens pensent que chacun doit rester à sa place. Il y a toujours des jeunes qui viennent me voir, parce que ça leur fait plaisir qu'une mamie écoute leur musique !». Elle se dit qu'un jour ça deviendra indécent, qu'il faudra qu'elle arrête. Jamais, on refuse !

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