L'Échange

Le maître Eastwood aurait-il visé trop haut ? Complexe et bancal, L’Échange multiplie les lignes narratives et finit par brouiller son discours. Petite déception. Christophe Chabert

On n’en voudra pas à Clint Eastwood, après avoir enchaîné des films aussi énormes que Mystic River, Million Dollar Baby et le diptyque Iwo Jima, de marquer le pas avec cet Échange bancal. Cela étant, le film ne se dégage pas d’un revers de coude et s’il rate sa cible, c’est plus par excès d’ambition que par manque d’inspiration. Car la mise en scène est là, classique, épurée, au service d’un scénario complexe à l’argument poignant : à Los Angeles dans les années 20, Christine Collins découvre que son fils a été enlevé. Après plusieurs semaines d’enquête, la Police lui apprend que son enfant est vivant. Mais lors des retrouvailles sur un quai de gare, c’est un autre gamin qui lui est restitué. Le shérif refuse d’entendre ses protestations, cherchant par cette action d’éclat à redorer un blason terni par les accusations de corruption portées par un pasteur influent. Toute cette introduction est remarquable : Eastwood montre un état qui fabrique un mensonge et met en œuvre une machine bureaucratique où des experts s’unissent pour plier la réalité à cette fiction. Impossible de ne pas penser, même si c’est une facilité, à la manière dont l’administration Bush à fabriquer des preuves pour déclarer la guerre en Irak. Et lorsque Collins est internée dans un hôpital psychiatrique pour l’obliger à accepter cette invraisemblable vérité, l’ombre de Guantanamo plane au-dessus de la méticuleuse reconstitution historique.

Auto-reverse

Il y a cependant un autre film dans L’Échange, qui vient brouiller cette ligne claire narrative : l’enquête autour de ce qui est réellement arrivé à Walter Collins. Eastwood abandonne longuement son héroïne pour suivre les traces d’un tueur en série, créant une figure de l’ordre positive en contrepoint des flics pourris qui s’acharnent à défendre leur manipulation. Cette manière de naviguer d’un espace à l’autre culmine lors du procès, où les deux volets de l’intrigue sont littéralement renvoyés dos-à-dos, jusqu’à une problématique séquence de pendaison, froide et sans regret. À vouloir trop résoudre ses énigmes et ménager toutes les parties, L’Échange dilue le combat de Collins et survole ses moments de défaillance. Comme cette scène, forte mais un peu courte, où elle s’énerve contre l’enfant impassible qui prétend être le sien. Le superbe Vinyan a su entre temps tirer plus d’ambiguïté d’une situation identique. Pour une fois donc, Eastwood ne convainc pas vraiment. Qu’on se rassure, il a depuis terminé un autre film, prometteur, que l’on devrait voir en février : Gran Torino.

L’Échange
de Clint Eastwood (EU, 2h21) avec Angelina Jolie, John Malkovich…

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