Possession

La MC2 accueille cette semaine l’adaptation fleuve (compter 7 heures avec les entractes !) des Possédés de Fédor Dostoïevski par Chantal Morel. La metteure en scène revient avec nous sur la création. Propos recueillis par François Cau

Petit Bulletin : Qu’est-ce qui a vous amené à vous lancer dans ce projet ?
Chantal Morel : Les Possédés est un livre que j’ai lu il y a longtemps, et que j’ai relu, relu et relu. Au bout d’un moment, j’ai fini par admettre qu’il y avait là quelque chose qui m’obsédait. Il y a déjà cette dimension de Dostoïevski, cette façon qu’il a de regarder nos vies, comment on essaie de se dépatouiller avec le très haut et le très bas, je trouve qu’il y a peu d’autres auteurs capables de produire de la matière pour réfléchir à ça. Il y a eu une longue maturation, puis un concours de circonstance, la rencontre avec des producteurs qui m’ont dit “Arrête de dire que tu vas le faire, fais-le“. Entre l’obsession intime et les conditions extérieures, il faut parfois sauter le pas !

Le roman a été écrit en réaction à un assassinat, comme une diabolisation des mouvements radicaux, mais finalement, il y a une certaine forme d’objectivité qui finit par se dégager.
J’aime énormément ça chez Dostoïevski : chaque fois qu’il a essayé de dire qu’il allait écrire pour telle ou telle raison, il a été balayé par les mouvements de la vie, par des choses plus profondes. On peut se retirer, prendre de la distance, se séparer des implications multiples et complexes et dire, deux points ouvrez les guillemets : “ça veut dire ça“. Mais ça revient à réduire la vie à une expression non pas simple, mais carrément dramatique. Effectivement, il était très en colère contre l’assassinat de l’étudiant Ivanov, contre ces mouvements nihilistes, socialistes qui prenaient corps et auxquels ils ne comprenaient pas grand-chose. Sauf que quand il s’est mis à écrire, son humanité et son talent étaient bien plus grands qu’un pamphlet, et très vite, la vie des personnages, leurs raisons d’agir, tout cela est devenu vivant. Et ce qu’il faut savoir, c’est que le récit est d’abord paru en feuilleton. Lorsque les premières pages ont été éditées, il n’avait pas encore écrit la fin, la rédaction lui a pris trois années. Il y a là une forme sidérante de confiance dans son travail artistique, pour poser des personnages comme ça et se dire qu’une vie cohérente va les traverser.

La volonté de faire une adaptation fleuve, c’est je suppose pour respecter au plus près l’œuvre originale, mais c’est aussi pour s’inscrire dans cette forme du feuilleton au long cours ?
Il y a d’abord le désir de se rapprocher de ce plaisir de lecteur, savoir qu’on retrouve ces personnages tous les soirs comme on retrouverait un ami, ce sentiment qui manque beaucoup en ce moment dans le monde, de prendre le temps, de laisser passer, laisser durer. Il y a au moins trois romans dans Les Possédés, trois points de chute – on aurait pu enlever tout ce qu’il se passe autour du gouverneur, mais je trouvais ça dommage de ne pas pouvoir essayer de tisser des histoires qui rebondissent les unes sur les autres, au point que même le narrateur essaie de dire ce qu’il se passe et n’y arrive jamais. Et c’est normal : il y a trop de croisements, de conséquences, d’attentions. Avec ces trois histoires, on a l’impression d’être immergé, de ne pas être en surplomb.

Comment vous êtes-vous débrouillé avec la figure du narrateur ?
Cette figure a eu un drôle de parcours, on a tout fait pour qu’elle arrive et ça n’a pas marché. Le narrateur a disparu au profit d’une somme d’informations que chaque acteur a intériorisé au fur et à mesure des répétitions. Enormément de choses ont disparu (le premier filage faisait douze heures), mais elles ont été travaillé et ça a créé une mémoire réelle, organique pour l’acteur. Je crois très fort à cette mémoire organique : le spectateur ne voit pas la scène disparue mais l’acteur en porte la trace, la marque. Je trouve que le théâtre retranscrit vraiment ces choses invisibles, on s’y connecte avec les autres, avec cet élément malmené aujourd’hui, la capacité humaine de s’entendre, de se comprendre au-delà des commentaires, des discours, des explications. Une chose plus instinctive, plus enfantine, plus dans le partage.

Les possédés
Du vendredi 9 au dimanche 18 janvier
à la Salle de Création de la MC2

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