La douleur à Blanc

Dominique Blanc, comédienne, retrouve avec La Douleur, un texte longtemps oublié par son auteur-même Marguerite Duras, les planches et Patrice Chéreau. Nadja Pobel

«Les hasards de la vie» dit-elle. La rencontre avec celui qui est un fil rouge de sa carrière est un hasard. Dominique Blanc était en classe libre au cours Florent, où Patrice Chéreau était professeur. Depuis, ils se sont trouvés, perdus de vue, retrouvés, mais jamais séparés. Trois pièces de théâtre et deux films plus tard, les voici réunis par La Douleur. «C'est moi qui suis revenue vers lui, on a décidé d'une lecture à deux, cherché des textes puis il a trouvé celui-là pour lequel j'ai eu un coup de foudre immédiat». Ce ne devait être l'histoire que d'une ou deux lectures données l'année dernière, c'est désormais un spectacle qu'elle va emmener partout avec un bonheur non dissimulé. Chéreau n'est plus à ses côtés sur scène, La Douleur est devenu un monologue, une première pour lui comme metteur en scène, une première pour elle comme comédienne ; «il faut être très rigoureux, je me sens en liberté surveillée, c'est à la fois inquiétant et merveilleux» confesse-t-elle. Pour ce saut dans l'inconnu, elle ne cherche pas facilité, se confrontant à un texte qui n'a rien de théâtral et qui a même longtemps été gommé de la mémoire de son auteur. C'est l'éditeur Pol Otchakovsky-Laurens qui décide de publier ces notes que l'écrivain a retrouvé dans les années 80 griffonnées sur ses cahiers d'écolière. Durant quelques jours de 1945, Duras, déguisée malgré elle en Godot, a écrit furieusement l'attente de son mari déporté à Dachau, Robert Antelme. Il y a cinq ans, déjà, lors de son dernier passage au théâtre, Dominique Blanc incarnait une Phèdre torturée, déchirée par son amour pour Hippolyte. Elle portait le poids du monde sur ses épaules comme Marguerite tente de se maintenir debout face à la barbarie et au silence forcé de l'aimé. Il n'est cette fois-ci plus question de hasards pour Dominique Blanc : «Je pense que les gens m'imaginent plus volontiers dans des rôles comme ceux-là que dans des comédies musicales avec des claquettes. Mais il ne faut pas désespérer, ça peut changer. J'aime ce métier pour les changements radicaux qu'il procure et toutes les métamorphoses qu'il peut engendrer. Chaque fois qu'on me propose quelque chose auquel je ne m'attends pas, ça me plait énormément».Une autre femme
Au cinéma, loin de se cantonner à des genres trop attendus, elle tente des expériences chez Wargnier, Malle, Bonello, Deville, Belvaux («La Trilogie, un film mal sorti et pourtant une aventure cinématographique unique») et bien sûr Chéreau. En février, elle fut aux côtés du plus OVNI des duos de cinéastes français : Pierre Trividic et Patrick Mario Bernard, pour leur seconde réalisation après Dancing. C'est d'ailleurs en voyant ce film que Dominique Blanc a eu l'envie de travailler avec eux. Ils écrivent pour elle une adaptation, une «réponse» même dit-elle, de L'Occupation (devenue L'Autre au cinéma) d'Annie Ernaux, une femme qui se veut libre dans son couple mais déraille lorsque son homme prend une maîtresse. «Marguerite Duras comme Annie Ernaux sont des féministes majuscules, dans le sens le plus noble, je me plais énormément en leur compagnie. C'est tout à fait passionnant de travailler avec des gens qui vous élèvent». Passionnant et gratifiant car Dominique Blanc est, avec Isabelle Adjani et Nathalie Baye, l'une des trois actrices à posséder quatre César. Mais c'est surtout cet automne, à la Mostra de Venise, qu'elle a reçu sa plus belle distinction, internationale. Wim Wenders et son jury l'ont estimée meilleure comédienne de la sélection de cette moisson pour L'Autre et la voici qui succède à Cate Blanchett. «C'est une émotion fantastique. Et c'est un succès aussi pour le film, pour le rôle».Une autre Histoire
Alors ? Théâtre ? Cinéma ? «Je viens du théâtre, je suis contente d'y revenir mais j'ai la chance d'être demandée au cinéma. Mon objectif est de continuer à faire les deux tant que je peux, c'est un luxe inouï». Lorsqu'il est question de l'importance de jouer un texte engagé comme La Douleur, qui pallie à l'amnésie ambiante sur l'Histoire récente, Dominique Blanc glisse bien volontiers que le théâtre est un des derniers lieux de résistance intellectuelle, un endroit, presque le seul, où il n'y a pas de pause publicitaire, où il est possible de réfléchir librement sur un texte ou une interprétation. Cela lui semble d'autant plus nécessaire lorsqu'elle constate, cynique, que «la culture se porte de moins en moins bien car on sait bien les méfaits qu'elle produit sur les gens».La douleur
Jeudi 2 avril à 20h, à l'Hexagone (Meylan)

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