Making of

Pour Iodiot!, le metteur en scène Vincent Macaigne revient avec nous sur ses méthodes de travail, son rapport au roman de Dostoïevski et à la matière théâtrale. Propos recueillis par François Cau

L’écriture

« Je n’ai pas vraiment de règles pour la préparation des spectacles, je change de méthode à chaque fois. Sur ma précédente création, Requiem 3, je suis parti sur un thème et j’ai travaillé avec les comédiens en allers-retours. Là, c’était beaucoup plus écrit : j’ai planché seul sur une première adaptation, qui était plus littéraire que le spectacle mais qui ne me convenait pas. On a ensuite travaillé avec les comédiens pendant un mois en répétition. Je travaille beaucoup avec les mêmes personnes, donc il y a une vraie entente artistique même si chacun a un univers différent. J’ai enregistré tout ce qu’il se passait, digéré les propositions avant de plancher sur un autre texte. On a enchaîné sur d’autres temps de répétitions, et enfin les astuces scénographiques sont venues deux semaines avant le début des représentations»

Le choix d’un texte “classique“

«Quand je m’attaque à L’idiot, je n’ai pas de conscience de texte classique, je trouve plutôt qu’il s’agit d’un roman assez moderne. Il y a beaucoup d’éléments qui résonnent avec le monde d’aujourd’hui sans avoir besoin de forcer l’écho. C’est quand même assez fou, quand Dostoïevski écrit le roman, il voit arriver les concepts de libéralisme, de socialisme, de conservatisme, de fascisme, et il les traite avec beaucoup d’ambiguïté. Même si ce n’était pas son dessein, il est très intéressant de voir comment ses mots peuvent changer de sens à l’éclairage des deux siècles écoulés»

La violence du propos

«Franchement, je trouve que le spectacle est moins violent que le livre. On en a une image assez gentille, mais pour l’avoir lu et relu, c’est vraiment très dur. J’ai essayé de retranscrire ça, mais je pense être encore en dessous de la charge de l’auteur, de sa haine dans l’écriture. C’est une attaque contre la société, la politique, la religion. Mais ça reste dans une certaine beauté, puisque fondamentalement, il attaque tout avec amour, il cherche la vie dans ce chaos. Là où ça devient violent, c’est qu’il s’agit d’une œuvre sur la souillure et l’abandon. Chaque personnage finit par renoncer à ses idées et idéaux»

L’utilisation de la musique

«Le but n’était pas juste de passer de la musique pour passer de la musique, ou pour agresser le public. J’ai essayé de choisir les morceaux en fonction de leur impact sur la mémoire collective, pour raconter une certaine époque, comme avec Nirvana sur la scène de la fête. Je voulais qu’on sente vraiment l’idée d’une soirée se déroulant devant nous, avec du son trop fort, de l’énergie, ne pas me cacher derrière l’alibi théâtral. Le but était aussi de créer une sorte d’abattement sonore, non pas pour brutaliser le spectateur, mais pour le mettre dans d’autres conditions d’écoute, qu’il profite du silence qui suit. J’ai beaucoup fonctionné comme ça, à chercher la poésie entre le cri et le chuchotement. Quand on a travaillé sur le livre, on a fait deux lectures en temps réel où on suivait exactement les indications du roman. Au fur et à mesure, on s’est rendus compte que la plupart des dialogues étaient assortis de la mention «il cria» ou «il hurla». Dans le livre, les personnages ne se parlent pas, ils se hurlent dessus. On pourrait croire à un détail, mais théâtralement, c’est une vraie indication de jeu. Les personnages ne sont pas dans le naturalisme mais bien dans une furie, il était essentiel pour moi de retranscrire cette colère-là, jusque dans le choix de la bande-son»

Le côté trash de la mise en scène

«C’est un peu le même esprit que les choix musicaux, il n’y a pas de volonté dès le départ de verser dans le trash, tout provient du travail sur le roman. C’est loin de la pose, je pense, parce que tout vient vraiment des répétitions avec les comédiens, de notre volonté de traduire fidèlement les idées du texte. C’est pour cela qu’on peut parler de chantier collectif, il n’y a rien qui vient en amont des répétitions se coller au roman, on part d’abord du texte, qui finalement peut se jouer sans rien. C’est d’ailleurs ce qu’on a fait à Lorient, il y avait des problèmes de décor, on a envisagé de tout annuler avant de se décider à jouer brut, sans décor, sans accessoire. Et je pense que ça a marché. Après, comme on répète beaucoup, on est dedans, je ne me rends plus vraiment compte de la violence du spectacle»

Les réactions du public

«C’est sûr que la pièce ne s’adresse pas à tout le monde, je pense que ceux qui l’aiment bien s’y reconnaissent à plusieurs niveaux, dans l’énergie, mais aussi par le rejet que ça peut susciter chez d’autres spectateurs… De notre côté, on ne se pose cette question-là en faisant le spectacle. On ne cherche pas ces réactions, on reste dans l’incompréhension de ceux qui détestent – et qui sont généralement ceux qui le font savoir le plus bruyamment… Dans une certaine mesure, on se sent plus attaqué que le public ! Mais à Orléans par exemple, on a eu un public jeune, composé essentiellement de lycéens et d’étudiants, et c’était vraiment joyeux et intéressant, ça buvait des bières, ça dansait… Mais ils restaient attentifs, ils écoutaient l’histoire, comprenaient que ça s’adressait à eux. C’était une vraie fête du théâtre, sans violence, sans rapport culturel au théâtre au sens institutionnel du terme. C’était comme dans un concert, le spectacle était écouté, avec des moments où ça rigolait et d’autres où on entendait une mouche voler, c’était joli de voir ça. Mais bon, c’est sûr que si on vient voir du Dostoïevski avec un Samovar, on est déçu…»

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