Derrière les larmes

C’est l’un des événements de cette rentrée : le Centre chorégraphique national de Grenoble adapte le concept-album L’homme à tête de chou de Gainsbourg, sur une musique réarrangée par Alain Bashung avant sa disparition. Le chorégraphe Jean-Claude Gallotta nous en dévoile quelques pans. Propos recueillis par François Cau

Comment le projet est-il né ?
Jean-Claude Gallotta : Quand Alain Bashung est venu pour l’inauguration de la MC2, il a demandé au directeur Michel Orier si je pouvais chorégraphier quelque chose pour leur concert avec Christophe. Ça m’avait interpellé, mais j’ai dû refuser, je faisais My Rock en même temps. J’étais emmerdé, je pensais qu’il abandonnerait l’idée, mais il est tout de même passé voir un petit bout de My Rock, ça a dû engendrer une petite étincelle qui allait se révéler par la suite. Arrive ensuite le producteur Jean-Marc Ghenassia, qui avait vu Les Sept péchés capitaux. Il voulait monter L’homme à la tête de chou en ballet, ça lui tenait à cœur. J’ai d’abord été distant, un peu effrayé du côté showbiz, puis enthousiasmé par l’idée de travailler autour de Gainsbourg. Quand il m’a demandé à qui je pensais pour retravailler la musique et lui donner un sens scénique, pour moi, il n’y avait que Bashung – sa façon d’être, sa tronche, le fait qu’il ait fait un album avec Gainsbourg… Le producteur a douté un peu, Bashung avait déjà à l’époque une aura d’intouchable, mais il a dit oui tout de suite. Il y avait sûrement de l’étincelle qui s’était produite à Grenoble mais aussi une chose plus tellement secrète désormais – il était à l’époque en mal d’inspiration, et donc il a dû se dire que c’était une façon de s’échapper tout en étant créatif dans les chaussures d’un autre. Et ça a tellement bien marché qu’après avoir fait les essais pour nous, il s’est mis à l’écriture de Bleu Pétrole – qui est d’ailleurs un mot de Gainsbourg dans L’homme à la tête de chou.

Mais en même temps, ce projet est synchrone avec sa ligne artistique sur la fin, offrir une œuvre accessible sans renoncer à son statut d’auteur…
Exactement, et ça me donne le fil conducteur pour la danse, c’est vraiment cette jointure que je recherche, même si je prends des risques par rapport à nos contemporains.

A l’origine, Alain Bashung devait interpréter les morceaux sur scène…
Comme il n’était pas sûr de lui, il a voulu enregistrer sa voix pour une maquette, c’est ça qui va rester. Pour lui, ce n’était qu’un test, mais pour un test, je te garantis que c’est incroyable, magique. Il le fait et ça coule de source, il n’hésite pas, sa voix est tout de suite là, il arrive à choper les mots, à faire du Gainsbourg mais sans tomber dans l’imitation. Après l’enregistrement, il nous demande un temps pour faire Bleu pétrole, puis pendant un autre temps de silence on apprend qu’il a le cancer. Il nous a dit qu’il ne pourrait plus apparaître sur scène, mais qu’il allait tout faire pour nous livrer la meilleure bande-son possible. Ce pour quoi il a effectivement œuvré, jusqu’à la fin de sa vie.

Qu’est-ce qui vous a poussé à continuer après sa disparition ?
Au départ je ne voulais pas, puis on a fait un dernier repas où il était livide, et où il m’a relancé, je me suis donc senti obligé, par contrat moral avec lui, je devais continuer. Même si j’étais pétrifié à la fois émotionnellement puis par la peur de porter le projet presque seul. Mais je lui avais donné ma parole, donc derrière les larmes, je me suis dit “faut y aller, faut y aller, faut y aller“.

C’est une sacrée responsabilité…
Oui, c’est énorme. Mais j’ai envie d’assumer ça, à la fois parce qu’avec le temps j’encaisse mieux le négatif, puis pour Alain. Je sens que ça peut être un bel hommage, ça va détonner sur le plateau, et tant pis si ça ne plaît pas. La musique est sensorielle, la danse le sera aussi, les puristes y trouveront sans doute à redire, mais j’ai envie d’y aller comme ça, d’arriver à cette osmose entre grand public et contemporain. Mais sans me perdre, je ne fais pas un truc pute, c’est une dialectique permanente, on fonctionne à l’impulse, à l’énergie – quand il y en a trop, on gomme pour amener plus de suggestif, mais sans perdre la flamme.

C’est ce qu’il aurait voulu, ne pas aller dans le figé, dans le mémoriel…
Jusque dans ses derniers concerts, il balançait, il envoyait de la voix alors qu’il ne tenait pas debout… On suit cette idée. C’est très protecteur de travailler autour d’artistes comme Gainsbourg et Bashung. Il y a ces aspects à la fois populaires et intellectuels, ce n’est pas ennuyeux, il y a beaucoup de partage avec le public, mais sans jamais tomber dans la facilité.

Comment se traduira le côté narratif sur scène ?
Je me débarrasse de tout sur scène, on reste dans le suggestif. Les paroles sont là, il n’y a pas besoin de les surligner. J’épure au fur et à mesure, je prends des appuis scéniques puis je les enlève pour ne retenir que l’architecture, la sensation. Les effets passeront par la musique et la gestuelle…

L’homme à tête de chou
Du jeudi 12 au samedi 14 novembre, au Grand Théâtre de la MC2

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