Le goût des autres

PERFORMANCE-SPECTACLE. Pour lancer la nouvelle édition des Rencontres-i, l’Hexagone nous propose une expérience totalement atypique où les spectateurs deviennent malgré eux les propres acteurs du jeu. Très fort et très drôle. Aurélien Martinez

Attention, ce début de papier va enfreindre une règle élémentaire du journalisme : on ne parle pas à la première personne dans un article lambda. La neutralité et la décence réunies imposent à tout passeur d’informations de ne pas se mettre en avant (hormis évidement dans un édito ou un billet d’humeur, formes faites pour ça) sous peine de passer pour un Alain Delon du verbe. Pourtant, je me sens dans le devoir de rompre cette règle tacite, dans le but de traiter au mieux le spectacle évoqué ici ; spectacle qui questionne avec force le « moi » de chacun. Je m’explique : en mai dernier, je me suis rendu à Bruxelles avec des amis, et nous sommes arrivés en plein Kunstenfestival (le festival belge des arts vivants). En feuilletant la brochure, nous sommes tombés sur cette description alléchante : « Domini Públic est (comme) un jeu. Un jeu de société géant où le spectateur est plus qu’un pion. Au moyen d’un casque audio, les participants reçoivent une série de questions et d’instructions. Et le spectateur, qui joue ici un rôle central, est entraîné dans les jeux, souvent trompeurs, du regroupement ou de la polarisation. » Séduits, nous avons décidé de participer, et franchement, on ne l’a pas regretté !Spect-acteur
Avec Domini Públic, le metteur en scène catalan Roger Bernat (l’un des chefs de file des arts de la scène en Espagne) a élaboré une performance où le spectateur devient acteur. Chaque participant au projet se voit remettre un casque contre une pièce d’identité. Tout le monde a ensuite rendez-vous sur une place publique (derrière le théâtre de l’Hexagone pour samedi), afin de suivre les instructions délivrées par le fameux casque, et ainsi devenir une « marionnette obligeante ». Êtes-vous né à Grenoble ? Faites un pas en avant. Dormez-vous toujours du même côté du lit ? Levez la main. Une chorégraphie commence donc à se mettre en place : on regarde son voisin, on sourit à la personne qui a répondu comme nous, on s’étonne du peu de gens qui ont déjà fait « ça ». En plus de ces questions anodines, d’autres sont posées : certaines plus drôles, plus saugrenues ou encore plus déroutantes. On touche alors à l’intime de chacun quand on nous interroge sur notre rapport à l’argent, notre famille ou notre sexualité. Comment puis-je me confier à des inconnus si librement ? Me jugeront-ils ? Qu’ai-je en commun avec les personnes qui m’entourent ? Suis-je finalement si différent d’elles ? Quand le spectateur est plus habitué à être passif sur son siège et ne communiquer avec ses congénères qu’une fois la représentation terminée, ce procédé ludique – mais non gadget – séduit pleinement.Mourir sur scène
Pourtant, même si cette première partie permet la découverte en douceur du concept de l’ancien étudiant en architecture Roger Bernat (d’où son sens aigu de la scénographie), elle frustre légèrement : on aimerait aller plus loin, que nos mouvements soient véritablement utilisés dans la performance, et qu’on ne se contente pas simplement de répondre à une série de questions indépendantes les unes des autres. C’est là qu’intervient la suite : répartis en trois groupes selon une donnée aléatoire, vêtus de gilets de couleur différentes, les spectateurs participent pleinement à une sorte de jeu de rôles grandeur nature. Loin de nous l’idée de tout dévoiler (la performance repose en partie sur l’effet de surprise), mais quelques trouvailles accentuent encore l’effet saisissant du dispositif où l’on devient dominé ou dominant. On se sent comme des souris de laboratoire – voire des abeilles, vu que c’est le thème du festival ! – observés par des chercheurs invisibles scrutant nos moindres faits et gestes, notant sur leurs petits carnets : « c’est donc comme ça que les êtres humains sont ». La performance-spectacle de Roger Bernat pose ainsi de nombreuses questions sur nous, nos valeurs, nos comportements, nos codes sociaux. Et nous permet finalement de communiquer pleinement avec l’autre, cet inconnu si terrifiant que l’on croise tous les jours.Domini Públic
Samedi 3 octobre, à 18h30 et 21h. A l’Hexagone (Meylan)

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