Mise au poing

Alors que l’échéance de son mandat en tant que directeur de l’Amphithéâtre de Pont-de-Claix se profile, Michel Belletante défend vaillamment sa dernière saison, à l’heure où la nouvelle municipalité entend prendre d’autres orientations en matière culturelle. Propos recueillis par François Cau

Petit Bulletin : La ville de Pont-de-Claix a commandé un rapport à Michel Dibilio, rapport dont il ressort que les aspirations de la municipalité tendent à une désacralisation de la chose culturelle, à amener la culture au plus grand nombre notamment en investissant l’espace public. Tu te portes en faux par rapport à cette vision des choses...
Michel Belletante : Dans la perception socialiste de la culture, Jack Lang est depuis longtemps la référence, l’arbre qui cache la forêt. Dans la mentalité des élus et même des militants socialistes – à part la Région qui a une vision différente -, la culture rime toujours avec social. Ce ne sont pas des gens qui emploient le terme de démocratisation culturelle, mais lui préfère celui de démocratie culturelle. En d’autres termes, ça signifie ouvrir le chemin le plus large possible. Mais on met du coup au même niveau des choses balbutiantes et des pratiques artistiques professionnelles – et ça me heurte profondément, parce que ça délaisse le terrain du sens pour entrer dans ce que j’appelle la culture du rassemblement. Et je crois qu’aujourd’hui, au moment où les gens sont surinformés, abreuvés de sondages, d’infos et autres, il vaut mieux avoir des outils de tri et de connaissance. On est dans l’événementiel, le spectacle, et je me situe plutôt du côté politique – et pas politicien -, de la politis, du rapport qu’entretient ce qu’on raconte sur un plateau avec ce qui se passe tout autour.

On peut dire que la saison de l’Amphi semble à cet égard pour le moins orientée…
Elle est provocatrice. Je serais hypocrite et menteur de prétendre le contraire. C’est une programmation réactive. Mais ça ne veut pas dire que c’est prise de tête ou que ce sont des spectacles d’opportunité. Prenons Marx Matériau par exemple, les gens s’imaginent avec ce nom qu’on a affaire à un truc lourdingue des années 70, alors que pas du tout, c’est presque un spectacle de conte, sauf que les choses qui sont dites là-dedans sont essentielles, avec des résonnances contemporaines qui frappent les spectateurs. C’est une pensée qui a été ringardisée par les tenants du libéralisme, alors que quand tu creuses et que tu vas à la racine de la parole, tu te rends compte de sa portée. Ça résume mon action, arrêtez de vous raconter des histoires, venez vous faire votre propre opinion.

On en revient à la politis…
Oui, tout à fait. Je fais le pari de l’intelligence du spectateur, et pas celui de la sidération ou de la stupéfaction. Le parti de l’affectif ne m’intéresse pas.

Mais tu peux entendre l’argument que ça peut être aussi une façon d’amener un autre public à la culture, pourrais-tu envisager une possibilité d’entrer en complémentarité avec ce projet ?
Evidemment... Mais il me semble que l’artiste d’aujourd’hui ne doit pas être complètement dans le sens du monde. C’est quelqu’un qui, à un moment donné, donne les clés d’un futur ou d’un autre point de vue. Avoir de l’hémoglobine sur le plateau ou verser dans l’hyper réalisme, le cinéma est formidable pour ça. Une tirade assénée face aux spectateurs crée la même émotion ou absence de recul qu’une représentation graphique.

Ce genre de procédé est de plus entré dans les mœurs théâtrales, mais certains artistes les emploient toujours avec pertinence…
Quand tu es face à une œuvre d’art, qu’elle soit sanguinolente ou sexuelle, tu le reçois plein pot. Mais il y a un moment donné où l’on va chercher dans le formel, et ce genre de recherche nous éloigne du propos. C’est une affaire de goût, ce n’est pas le débat. Les spectacles de cette année sont des spectacles forts, ça, c’est clair. On peut disserter sur l’esthétique, mais on ne peut nier que ce sont des choix forts, et inscrits dans un contexte. Notre maître mot reste d’instruire en divertissant, avec un retour sur investissement – pour reprendre les mots du rapport – qui n’est pas immédiatement visible mais qui est bien effectif.

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