Esprits crépusculaires

Nous l’attendions, enthousiastes, avec même un léger pincement dans l’estomac au moment de la découvrir. L’exposition rétrospective de Marnie Weber au Magasin s’avère hautement digne de nos petits tracas : ne pas honorer cette affirmation artistique pleine et authentique d’une visite d’ici avril relèverait d’une couardise dont on ne préfère pas vous penser capables. Laetitia Giry

« Marnie Weber. Forever Free, The Cinema Show : A Film Retrospective and Installations », titre pour le moins informatif qui présente l’avantage d’indiquer les principales caractéristiques faisant le parcours de l’exposition : le cinéma est mis à l’honneur dans quatre salles aux dispositifs scéniques fort convaincants. Le spectateur est invité à s’asseoir sur des bottes de paille ou à des tables de cabaret. Pour la première vidéo, des fauteuils de bois reproduisent une vraie salle de cinéma, une licorne installée au fond de la salle, nonchalante, incarne le public comme faisant partie du processus de l’œuvre. Le regard de l’animal matérialise la part instinctive contre laquelle nous luttons dans l’acte culturel, mais qui nous rattrape dans l’appel aux sensations. Chaque film raconte une histoire liée au destin du groupe conceptuel inventé par l’artiste au début des années 2000 : Les Spirit Girls. Cinq esprits de jeunes filles revenus du XIXème siècle déclinant pour diffuser un « message d’émancipation » au présent. Leur musique, hypnotique, associée aux rideaux noirs encadrant les murs de projection et aux différentes mises en situation procède à une réflexion par mise en abyme de l’idée de représentation comme machine vitale. Le bémol, pour qui veut profiter pleinement de chaque film, est inhérent à la nature cinématographique des œuvres : leur durée (dix à quinze minutes chacune) implique qu’il faut être assez chanceux pour arriver au début ou assez intéressé pour l’attendre. Défilé circassien
En plus des vidéos, l’exposition nous propose de découvrir les sculptures de l’artiste. Les différents costumes dont sont affublés des mannequins sont l’émanation directe de l’univers créé sur pellicule. Des clowns effrayants et animaux imberbes colorés de manière inquiétante côtoient des femmes enfermées dans des corps d’hippopotame ou de tigre déguisés, une Spirit Girl dans une charrette entourée d’animaux est la voisine d’une barque pleine de personnages aux masques de plastique tout droit sortis du rayon Halloween d’un magasin de farces et attrapes. Le bateau trône dans la plus grande salle devant une fresque de tourments, le bleu pétrole combattant un orange drôlement sanguinolent au-dessus d’une mer grossièrement furieuse. Les sculptures sont accompagnées de collages happant l’œil avec une efficacité assez rare. De ces pièces uniques, réalisées de manière tout à fait artisanale (avec photos et ciseaux), émane une beauté qui subjugue autant qu’elle étonne, l’imagerie du cirque n’allant pas sans une cruauté édifiante : chapiteau en flammes, clowns maléfiques, etc.Poupées de cire, poupées de son
La dernière vidéo, « The Sea of Silence », voit les Spirit Girls accompagnées de poupées ventriloques à leur image leur permettant de s’exprimer. De blagues de comptoirs en assertions philosophiques telles que « chaque mot est mensonge » ou « il n’y a pas de vérité, seulement des perceptions », elles se produisent devant une assemblée d’animaux grossiers qui, à défaut de les écouter, violentent leurs corps artificiels. Une scène filmée sans complaisance, qui crée un vertige de dégoût avant la dernière séquence, grave et mélancolique. Au son des violons, les esprits muets abandonnent leurs poupées sur la plage pour entrer elles-mêmes dans l’eau. Devant l’amer constat de la vacuité de leur entreprise et l’agressivité de la surdité déplacée de l’audience, l’onirisme de l’œuvre de Marnie déploie toute sa force, et rend le face à face avec la poupée ventriloque accrochée au mur devant la salle quelque peu gênant. La bouche béante et le regard halluciné, elle apparait comme l’image douloureuse d’un échec personnel, concluant un parcours à l’intensité dramatique incontestable.« Marnie Weber. Forever Free, The Cinema Show : A Film
Retrospective and Installations »
Jusqu’au 25 avril 2010, au Magasin CNAC

pour aller plus loin

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 17 octobre 2023 L'édito du Petit Bulletin n°1221 du 18 octobre 2023.
Mercredi 6 septembre 2023 C’est littéralement un boulevard qui s’offre au cinéma hexagonal en cette rentrée. Stimulé par un été idyllique dans les salles, renforcé par les très bons débuts de la Palme d’Or "Anatomie d’une chute" et sans doute favorisé par la grève affectant...
Lundi 24 avril 2023 Le secteur culturel grenoblois s’empare, depuis peu mais à bras-le-corps, du sujet épineux de la transition écologique. Mobilité des publics, avion ou pas avion pour les tournées des artistes, viande ou pas viande au catering, bières locales ou pas...
Lundi 13 février 2023 Dans la catégorie humoriste nonchalant, on demande le pas encore trentenaire Paul Mirabel, drôle de Zèbre (c’est le nom de son spectacle) qui cartonne depuis (...)
Lundi 16 janvier 2023 Trois soirées électro à Grenoble pour faire bouger tes nuits : Ed Isar le 24 janvier à la Bobine, Umwelt le 27 janvier à l'Ampérage et une Semantica Records night le 28 janvier à la Belle Électrique.

restez informés !

entrez votre adresse mail pour vous abonner à la newsletter

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X