Claude Régy : « Que les spectateurs fassent des efforts ! »

Théâtre / Claude Régy, quatre-vingt-six ans au compteur, débarque à la MC2 avec "Ode Maritime" : un spectacle hypnotique où pendant deux heures, un comédien immobile incarne les mots de Fernando Pessoa. Rencontre avec un metteur en scène passionné et intransigeant.

Pourquoi s’attaquer à Fernando Pessoa, cet écrivain et poète portugais du début du siècle dernier ?

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Claude Régy : Parce qu’il est génial ! Devant un écrivain de cette taille et de cette force, il n’y a pas à hésiter. Avec Ode Maritime, il va tellement loin dans la façon de casser toutes les limites, toutes les frontières, que ça en devient un terrain absolument remarquable pour travailler.

Est-ce aussi l’idée de donner à entendre de la poésie ?

Je ne crois pas qu’il y ait la poésie et la prose. De très grands prosateurs sont des poètes. On fait aussi de la poésie en prose, et tout ce qui est écrit en vers n’est pas forcément de la poésie. La poésie veut dire "création" en grec : c’est plutôt tout ce qui crée quelque chose de nouveau, il n’y a donc pas à opposer poésie et prose.

Ainsi, la poésie d’Ode Maritime, qui est également dans la prose, je suis tout à fait convaincu qu’il faut s’en servir au théâtre, et essayer de la faire partager au plus grand nombre possible. Il ne faut pas s’enfermer dans le réalisme, le naturalisme, la recopie de la vie quotidienne. Si l’on invente quelque chose, ça veut dire que l’on pénètre dans un territoire inconnu. Et si l’on n’avance pas vers l’inconnu, à mon avis, ce n’est pas la peine de faire ce métier.

Comment faire du théâtre avec un matériau de la sorte, pas forcément pensé pour la scène ?

Là aussi, je ne crois pas vraiment à ça… J’ai monté énormément de textes qui n’étaient pas des textes de théâtre. Il faut rompre avec cette opposition entre littérature romanesque, littérature dramatique, écriture de scénario, poésie… Toutes ces distinctions sont absolument vaines. Il y a l’écriture, voilà ! Meschonnic [linguiste et poète français mort l’année dernière, NDLR] parle ainsi de « théâtralité inhérente au langage ». Si l’on travaille vraiment sur le langage, il y a une théâtralité avec la transmission des images et des sensations qui doit se faire.

D’ailleurs, ça m’a beaucoup plu quand Sarah Kane, après sa troisième pièce, a renoncé aux scènes violentes. Puis elle a écrit Manque et 4.48 psychose, où elle dit « rien qu'un mot sur une page et il y a le théâtre ». De Meschonnic à Sarah Kane, je me retrouve parfaitement dans un terrain qui veut rompre avec ces fausses règles du théâtre et ces faux interdits qui paralysent la création… et surtout la folie – c'est-à-dire l’idée de se lancer dans des choses qui ne sont pas forcément raisonnables, mais qui au moins ont le pouvoir de faire bouger les lignes. Si l’on reste dans l’immobilité et la recopie de ce qui est déjà connu, c’est tout à fait inutile.

Vous avez ainsi souhaité que le comédien Jean-Quentin Chatelain, seul en scène, « ne joue pas »…

S’il y a une théâtralité inhérente au langage, il faut s’en servir. Pour ça, il faut renoncer aux formes habituelles et à tous les moyens à la disposition des metteurs en scène. Il y a une théâtralité présente dans le poème, dans l’écriture de Pessoa, mais ce n’est pas une forme théâtrale divisée en actes, en personnages ; il n’y a pas de dialogues…

Je m’attendais ainsi à un accueil très difficile : le texte est dur, avec ce poème de huit cents vers ; j’ai fait une mise en scène où l’acteur ne bouge pas pendant 1h50 – ce qui est souvent le cas dans mes mises en scène… Il y a donc une forme de spectacle qui n’est pas conventionnelle. Pourtant, je suis frappé de voir à quel point, en général, il y a une scission dans le public, mais pour une très petite part. Pour la majorité, il y a une acceptation de cette proposition très difficile. J’ai même l’impression que les gens sont heureux d’avoir vécu pendant presque deux heures hors limites, hors interdits, hors ordre moral, hors rapetissement de l’être humain…

Votre mise en scène demande pourtant un effort au spectateur…

Mais bon Dieu de merde, il faut que les gens fassent des efforts ! Qu’est-ce que c’est que cette paresse intellectuelle – voire paresse tout court. Ce n’est pas facile de créer, d’inventer, d’aller dans des territoires inconnus, de découvrir des choses, de prendre des risques… Si les spectateurs n’en prennent pas, s’ils sont paresseux, qu’ils dorment tranquilles, on ne les réveillera pas, et ils iront à leur perte.

Vous êtes nommé aux Molières comme meilleur metteur en scène [interview réalisée avant la cérémonie, qui a finalement vu triompher Alain Françon]. C’est important cette reconnaissance du milieu ?

Je ne veux pas du tout cracher dans la soupe, mais pour moi, les Molières ne représentent rien. D’abord, pourquoi avoir choisi ce nom de Molière, c’est toujours ce classicisme, cet académisme. Tout cela est d’un démodé, ça sent vraiment le moisi. On nous présente un acte de Feydeau pour nous distraire… Molière, Feydeau, … C’est vraiment s’enfermer dans des limites restreintes et, à mon avis, un peu périmées.

Il faut regarder aussi en dehors de nos frontières. J’ai beaucoup travaillé sur des auteurs étrangers contemporains… Pourquoi toujours remonter les classiques français et rien d’autre ?

Ode Maritime
Du mardi 4 au vendredi 7 mai, à la MC2

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