Illustre inconnu

Adulé par ses pairs et méconnu du grand public, Allain Leprest n’a cure de la reconnaissance médiatique et poursuit inlassablement, avec classe et humilité, ce qu’il sait faire de mieux : jouer avec les mots d’une langue française qui en redemande. FC

Une voix rauque, au phrasé évident, à la musicalité toute singulière. Une obsession textuelle qui touche souvent à une certaine idée de la perfection poétique. Une présence scénique qui, à elle seule, semble résumer plus d’un siècle de chanson française ; la silhouette imposante mais timide, une dégaine de chanteur de bistrots à même de sortir les badauds de leur torpeur éthylique, les yeux qui vous foudroient puis semblent lutter avec des démons intangibles, des mots qui claquent comme autant de gifles assénées avec tendresse. Une carrière lancée par le prestigieux label Révélation du Printemps de Bourges, en 1985. Deux grands prix de l’Académie Charles Cros, dont la plus récente récompense l’ensemble de son œuvre. Un documentaire sur sa carrière en tournage, avec à la réalisation le canadien Damian Pettigrew, auteur de portraits de Fellini, Balthus ou Beckett. Deux albums de reprises de ses chansons par la fine fleur de la scène française contemporaine. Et pourtant, faites le test, interrogez vos amis férus de patrimoine culturel cocorico sur ledit Allain Leprest, et vous obtiendrez vraisemblablement une fin de non-recevoir. Que voulez-vous, les chansons de Leprest ne sacrifient que trop rarement aux formats radiophoniques, se rient des structures couplets/refrains, ne se sentent pas obligées de racoler le chaland à coups de spleens petits bourgeois sur le temps qu’il fait, ou de nostalgie du temps des Carpentier. Le vécu émanant de ses textes n’est pas assez glamour pour le prime-time. Il compose avec l’anecdotique, jongle avec son quotidien, mais pas selon les normes en vigueur. Au cas où il subsisterait un doute : oui, il le fait exprès. Talent brut
Exempt de toutes pressions médiatiques, Allain Leprest est un cas rare, dans la sphère pourtant pléthorique de la chanson française, d’intégrité artistique absolue. Il a construit son style dans cette marge qu’il a appris à affectionner, tout en restant plus que jamais fidèle à son credo poétique – d’album en album, son écriture s’est certes chargée d’amertume, mais sans aigreur, et avec une puissance vocale gagnant systématiquement en émotions fécondes pour qui goûte un tant soit peu les charmes de la langue française. En dépit de ses bons et loyaux services, la reconnaissance publique méritée ne vient toujours pas, si ce n’est en dehors d’un cercle légèrement grandissant d’aficionados dévoués, plaidant pour sa cause – parmi lesquels on pouvait compter Jean Ferrat, Henri Salvador, ou Claude Nougaro, qui voyait en lui le digne successeur de Jacques Brel. Ce n’est pas que le garçon s’isole volontairement ou se replie sur lui-même, il veut juste confectionner ses chansons comme il l’entend, sans faire quelques concessions que ce soit, jusque dans les textes qu’il écrivit pour d’autres (comme Juliette Gréco ou Enzo Enzo). Avec son humilité caractéristique, il se présente volontiers comme un artisan plutôt que comme un artiste, sans voir le côté péjoratif que de tristes sires accolent trop souvent à ce terme. Sur la route encore
En 2005, après deux ans de lutte contre la maladie, Allain Leprest ne s’est pas laissé abattre, est remonté sur scène quasiment illico, et a même sorti son album le plus bouleversant, Donne-moi de mes nouvelles. On retiendra une strophe gouailleuse du morceau éponyme (amené à être repris par Olivia Ruiz sur l’anthologie Chez Leprest), à même de rassurer pleinement sur les velléités artistiques du bonhomme : Sans t’avouer que je me manque / Donne-moi de mes nouvelles / Dis-moi dans quel port se planque / La barque de ma cervelle. Aujourd’hui, Leprest écume toujours les salles françaises, ravit un public aussi fidèle à son univers qu’il peut l’être à ses musiciens. A Grenoble, où l’on a eu la chance de le voir de nombreuses fois, il devrait recevoir devant une Bobine comble une partie du triomphe qu’il mérite. Allain Leprest
Jeudi 13 mai à 20h30, à la Bobine (COMPLET)

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