Effroyable enchantement

Militants inconditionnels de la cause écologique : réjouissez-vous. Pour les autres (dont nous sommes, il faut bien le dire) : soyez ravis. Loin des discours démagogiques sur le sujet, et de la lassitude qu’ils génèrent, l’exposition d’été du Magasin offre une vision esthétique ultra efficace et enchanteresse. Laetitia Giry

Le duo artistique AOo (entendez Art Orienté objet) est composé du couple formé par Marion Laval-Jeantet et Benoît Mangin, actifs depuis une petite vingtaine d’années. Leur travail va de recherches scientifiques en concrétisation artistique sous toutes les formes possibles, de l’éthologie à l’ethnologie, le tout résolument orienté vers l’humain, et donc l’écologie, ce qui leur a valu une reconnaissance plutôt tardive en France – souvent en retard admettons-le – et un parcours à l’étranger des plus honorables. L’exposition « L’Alalie » porte le nom de l’une de ses pièces maîtresses : un planisphère dessiné au fusain sur un immense mur blanc, et dont les traits sont écritures de noms d’espèces en voie de disparition dans des langues anciennes. Un travail de recherche anthropologique considérable et une minutie dans la réalisation qui se verront balayer, au sens propre, tout au long de l’exposition, au rythme des disparitions réelles évaluées sur la planète. Synonyme d’aphasie, d’un mutisme affligé par l’impossibilité de dire plus, l’alalie correspond à un sentiment partagé et encore conservé dans une sorte de latence générale. Agressivité et transgression
Faire de l’art n’est pas anodin par définition : l’assertion n’est que plus vraie quand on parle d’AOo. Adeptes de mises en danger physique et mentale, ils s’impliquent complètement dans leurs expériences, qu’elles soient scientifiques ou mystiques : mise en culture d’échantillons de leurs propres peaux, prise de substance en Afrique et en Amérique du sud auprès de personnes qu’en occidentaux à peine ethno centrés nous serions tentés d’appeler « sorciers », coma, visions… Ils ne craignent rien et aiment à impliquer le visiteur. L’ours polaire tricoté patiemment par Marion et quelques petites mains – « La peau de chagrin » - souffre en silence sous une pluie d’ampoules à basse tension. Représentant folklorique de la déréliction de la planète, il incarne ici l’ampleur de l’ironie et de la cruauté de la chose. Il est aussi miroir peu flatteur, car les ampoules que l’on nous a vendues comme une révolution sont désormais interdites pour être trop dangereuses : en franchissant la porte de la grotte de l’ours, le visiteur expérimente lui-même le danger de la surexposition. La transgression de l’interdit apparaît ainsi comme un matériau brut de leur cheminement artistique dans le désir manifeste de heurter le public. L’on doit être glacés, tendus un instant vers la surconscience d’un état dont l’habitude est si grande que la perception se réduit dans une salutaire initiative de notre inconscient. Le cube de glace, marqué de la trace d’une patte et présenté à l’entrée de l’exposition, impose au regard de sentir la présence passée, de prendre ainsi véritablement conscience des enjeux à l’oeuvre. Métaphysique terrienne
« Persistance déraisonnable à faire de l’art » est une magnifique façon de créer dans l’espace la vision de la folie inhérente à la création, tout en en soulignant avec ironie la nécessité absolue. Comme le dit Benoît, « c’est aussi une pièce très métaphysique : des têtes en état de suspension entre ciel et terre. » Des têtes qui ne sont autres que des moulages en verre des leurs, accrochées à des ressorts et destinées à exploser contre le plafond, libérant l’azote (gaz hilarant) qu’elles contiennent. Et le même de préciser qu’elles sont « rendues à l’état gazeux, véritablement ». Pour mettre en scène l’une des visions de Marion, son « essence », les artistes ont fait venir une chaîne de plateforme pétrolière pesant trois tonnes (ce n’est pas une façon de parler), laquelle est pendue à un plafond agrémenté d’un miroir reflétant les dessins d’un ciel de printemps dessiné au sol. Confrontation du poids des traditions à la liberté que ce corset permet malgré tout : le sens de l’installation s’intègre comme une évidence, l’histoire racontée affirme la toute-puissance de la pure liberté acquise par l’homme grâce à l’art. On touche là à l’une de ses données inhérente et ô combien essentielle : sa nécessité sociale par l’intermédiaire du choc sensible, réfléchi par l’artiste, malicieux qu’il est, vécu par le visiteur, malicieux qu’il peut être.L’Alalie
Du 29 mai au 5 septembre, au Magasin - CNAC

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