La Tête en friche

Après "Deux jours à tuer", Jean Becker revient en Province avec ce joli film à l’humanisme sincère, porté par un très grand Gérard Depardieu. CC

Il est de bon ton de se moquer du cinéma de Jean Becker, son goût pour la France profonde, son cinéma où le texte a plus d’importance que la mise en scène, souvent réduite à un cinémascope dispensable et une lumière proprette. Pour les mêmes raisons, on pourrait dire de Becker qu’il est un auteur mineur, dont les réussites et les échecs dépendent du matériau qu’il adapte — ici, un bouquin de Marie-Sabine Roger.

Depuis la mort de Sébastien Japrisot, qui lui avait écrit ses meilleurs films, le cinéma de Becker est inégal, mais on sent s’y affirmer une sincérité totale, un projet humain autant que cinématographique. La première partie de Deux jours à tuer par exemple ne trompait personne : la cruauté y sonnait faux, et le récit finissait par expliquer pourquoi. La Tête en friche n’a pas besoin de ce genre d’artifices pour toucher juste. Oui, c’est un film gentil, c’est même un film sur la gentillesse, mais où la violence est un vestige du passé qu’il faut s’arracher du crâne tel un éclat d’obus…

Des livres et lui

Pour Germain, gros nounours rustre mais aimable qui cultive son jardin et bosse au noir pour survivre, ce passé douloureux, c’est la guerre d’Algérie, dont il se compte comme une victime, et une mère acariâtre qui ne trouve que la haine pour exprimer son amour. Germain va rencontrer une vieille dame très digne sur un banc, qui va lui faire la lecture et le pousser à sortir de ce rôle d’imbécile jovial que la vie lui a attribué. Si la trame de cette fable a l’air neuneu, Becker a pris soin d’y introduire des éléments plus retors.

Ainsi de la petite amie de Germain (la revenante Sophie Guillemin), qui a bien vingt-cinq ans de moins, ce qui ne dérange personne ni n’empêche entre eux une peu chaste intimité physique. Ou encore ce village français fier d’être métissé, loin de la France trop blanche des JT de Jean-Pierre Pernaud. Sans oublier l’audacieuse pique en ouverture contre Sarkozy, ce qui de la part d’un cinéaste insoupçonnable de gauchisme est assez sidérant !

Mais l’intérêt de La Tête en friche est encore ailleurs. Dans les dialogues de Jean-Loup Dabadie, et surtout dans l’interprétation magistrale de Depardieu. Si le film tout entier a de nombreux points communs avec Mammuth, l’acteur réussit à ne pas faire de Germain un calque campagnard de Serge Pilardosse. Germain est aussi explosif et bavard que Serge était mutique et blasé, mais les deux se rejoignent dans un même appétit retrouvé de la vie simple et hors des clous. Maître des ruptures, donnant l’impression de découvrir son texte en le jouant, Depardieu confère au personnage une vérité qui gomme les ficelles du scénario en les remplaçant par le spectacle d’un immense acteur au sommet de son art.

La Tête en friche
De Jean Becker (Fr, 1h22) avec Gérard Depardieu, Gisèle Casadessus…

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