Hautes tensions

La nouvelle édition des Soirées, toujours coorganisées par la MC2 et le Centre chorégraphique national de Grenoble (dirigé par l’indéboulonnable Gallotta), est sous-titrée cette année "Sous tension". Un thème pas forcément fun qui nous offre néanmoins quelques propositions fortes. Aurélien Martinez

Au fil des ans, les Soirées (ex-Soirées d’Émile, du nom de l’imaginaire Émile Dubois inventé par Jean-Claude Gallotta il y a de ça trente ans) gardent le même principe : à savoir, faire émerger le travail de nouveaux chorégraphes (néanmoins déjà confirmés, les Presk’îles d’Émile étant quant à elles destinées aux "novices"), et leur donner les moyens de le dévoiler dans des conditions professionnelles, devant un public. Cette année, la programmation se veut pointue, entièrement construite autour de l’idée de tension, avec notamment des corps jetés en pâture dans un monde jugé trop violent. Un thème qui place donc ce mini festival sous des auspices graves. Parmi les six créations dévoilées au cours des trois soirs de représentation, nous en retiendrons trois. Des formes courtes qui, si elles ne nous ont pas forcément toutes entièrement convaincus, ont le mérite de sortir des sentiers battus.

Influx controls : I wanna be, wanna be

L’influx control était une loi en vigueur en Afrique du sud restreignant la liberté de mouvement des personnes noires, pour les empêcher de se rendre dans les zones riches. Le chorégraphe Boyzie Cekwana a ainsi décidé de baptiser sa future trilogie (dont I wanna be, wanna be est le premier volet) du nom de cette loi : car même si elle a été abrogée en 1986, ses effets se font encore ressentir au sein de la société sud-africaine sur fond d'apartheid et de colonialisme, explique l’artiste. Il souhaite ainsi porter sur scène ces blessures invisibles, en utilisant le moyen d’expression évident pour un danseur : son corps. Un corps noir tiraillé entre la culture de l’homme africain, ce que le monde projette en lui et ce qu’il aspire à être. I wanna be, wanna be devient alors un ovni entre danse et performance qui surprend, même si sa forme et le choix d’un début statique (une longue séance de maquillage) comme prélude aux bouleversements futurs ont de quoi nous laisser sur notre faim : derrière les poncifs qui nous viennent directement à l’esprit en regardant un homme noir évoluer en pagne et en Converses, on peine à comprendre véritablement ce que Cekwana désire transmettre avec ces images chocs (une bombe cachée sous un costume par exemple). Surtout que pour avoir lu et entendu des interviews du bonhomme, son discours semble plus intéressant que ça (il rencontre un très fort écho sur les grandes scènes européennes). Affaire à suivre donc dans les deux prochains volets de la trilogie.
Jeudi 3 juin. Avec Hoketus, d’Aurélien Richard – cie les Désinents.

Le Cri

Voilà une proposition originale à même de dérouter – voire de rebuter – celui qui ne se laissera pas porter. Sur une scène nue, pendant trois quarts d’heure, deux femmes, dans des costumes informes, ne font que bouger les bras. Certes, en crescendo, à différentes vitesses, avec tout un jeu sur la pause ; mais tout de même… Tout cela forme-t-il au final un spectacle ? Eh bien oui ! Et un spectacle qui en dit beaucoup plus que les tergiversations chorégraphiques graves et plombantes d’autres artistes beaucoup moins inspirés (Romance-s, proposé le même soir que Le Cri, est un exemple parfait de ce que l’on a déjà vu quatre-vingt-deux fois – au bas mot !). « Une des plus grandes libertés n’est-elle pas de refuser le mouvement pour créer l’instant ? » explique la chorégraphe Nacera Belaza dans son propos artistique. Une chorégraphe à la recherche du « mouvement originel » que l’on retrouve dans des danses dites traditionnelles, qui utilise en contre-pied une bande-son discrète et prégnante, où se croisent La Callas, Amy Winehouse, le chanteur Larbi Bestam ou des rires d’enfants – cette bande-son accompagnant au mieux la lente progression qui mènera à un final d’une réelle beauté. Interprété par Necera Belaza elle-même et sa sœur Dalila, Le Cri est l’une des créations les plus intéressantes présentées pendant ces trois jours de festival.
Vendredi 4 juin. Avec Romance(s), de Laurence Yadi et Nicolas Cantillon – cie 7273.

Self portrait camouflage

Encore une proposition qui, comme celle de Boyzie Cekwana, s’écarte de la danse stricto sensu pour voguer vers d’autres univers. Ici, Latifa Laâbissi (formée chez Cunningham et Gallotta) se confronte au verbe, dans un simili one-woman-show chorégraphié. Nue avec seulement une coiffe de chef indien, elle évoque l’époque des expositions coloniales en France où « des hommes, des femmes, des enfants étaient l’objet d’attractions curieuses ». Et offre ainsi un solo politique entre la danse toute en tension (des contorsions au sol exprimant la souffrance du corps meurtri) et des petits discours théâtralisés (souvent très drôles, même si leur pertinence et leur intérêt varient au cours de la représentation). C’est ce mélange habilement construit qui séduit : aux mots censés panser les plaies répondent ainsi les « parages hantés des universaux de la République ». Suivez son regard…
Samedi 5 juin. Avec Inside, d’Edmond Russo et Shlomi Tuizer – cie Affari Esteri. LES SOIRÉES
Du jeudi 3 au samedi 5 juin, à la MC2.

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