Bandes originales

Avec sa puissance d’évocation hors normes, il était tout à fait naturel que la musique de Leonard Cohen soit cooptée par le 7e art. Petit tour d’horizon de ses greatest hits ciné. FC

Everybody knows

Sans doute le morceau le plus cinématographiquement emblématique de Leonard Cohen, qui n’a pas manqué de le faire redécouvrir à toute une nouvelle génération. Tiré de l’album I’m your man (1988), Everybody knows est l’un des titres les plus dark de son auteur, qui distille de sa voix caverneuse comme jamais une suite de généralités désabusées, un fatalisme esquissé du demi-sourire de celui qui n’a plus rien à perdre : le monde est pourri, les pauvres restent pauvres, personne ne fait rien, on ne peut pas aimer sans trahir, et tout le monde le sait. Le tout enrobé d’une production lancinante, qui vous hante pour ne plus vous lâcher.

Utilisé une première fois au cinéma dans Pump up the volume (Allan Moyle, 1990), Everybody knows y est l’hymne on ne peut plus évident de l’émission d’Harry la Trique, l’animateur de radio pirate lycéenne interprété par un Christian Slater alors au top de sa coolitude. Une récupération adorablement adolescente de ce titre définitif, dans l’un des derniers teen movies contestataires d’années 80 moribondes en termes d’identité culturelle pour la génération en construction.

Quatre ans plus tard, Atom Egoyan utilisa le morceau dans l’un de ses meilleurs films, Exotica. Un chassé-croisé dans un strip club de Toronto, dans lequel plusieurs personnages aux motivations troubles tentent de faire abstraction de leur mal-être. Balancé par le DJ sur la “danse“ d’une Mia Kirschner grimée en écolière, le morceau enveloppe instantanément la scène d’une aura funeste, tout en réveillant sa sensualité à fleur de peau.

Enfin, dans le méconnu mais génial documentaire The King of Kong (Seth Gordon, 2007), Everybody knows illustre les scènes d’entraînement précédant le combat final entre Steve Wiebe et Billy Mitchell, deux illuminés (chacun à leur façon) se disputant le meilleur score sur la version borne d’arcade de Donkey Kong. Même si le grain de l’image et les deux sujets du film sont toujours aussi déprimants, leur quête prend subitement une ampleur dramatique à l’ironie mordante.

Hallelujah

Avec Dance me to the end of love, l’autre chef-d’œuvre intemporel de l’album Various Positions (1984) est le morceau de Leonard Cohen qui aura bénéficié du plus grand nombre de reprises (par John Cale, Rufus Wainwright, Jeff Buckley of course, et même par Bon Jovi). Un véritable classique, qui aura illustré à travers ses différentes versions une quantité presque indécente de films (Shrek – qui aura participé à son regain de popularité avec sa reprise de John Cale -, Lord of War, The Edukators…) et de séries télé (House, A la Maison Blanche, Les Experts…). Au point qu’au moment de la sortie de Watchmen, qui se sert de la version originale de Cohen pour accompagner l’impromptu coït en filtre bleu de deux super héros en apesanteur, un critique US a demandé l’institution d’un moratoire sur cette chanson...

On vous enjoint de notre côté à découvrir le morceau à travers son utilisation la plus émotionnellement cinglante : dans le glaçant documentaire Deliver us from evil (Amy Berg, 2006), enquête sur la couverture par l’église catholique d’un prêtre pédophile, où, forcément, le titre (repris par Joseph Arthur) revêt un sens totalement désespéré…

Take this Waltz

Un autre somptueux morceau tiré d’I’m your man, inspiré d’un poème de Federico Garcia Lorca, dont la transposition scénique, avec ses choristes féminines en renfort de l’évocation déjà hallucinante du titre, vous fait dresser les cheveux sur la tête, et ce même en regardant la vidéo sur votre téléphone portable. Si l’on conserve en mémoire la seconde réalisation de Marion Vernoux, Love etc, ce n’est pas forcément pour son intrigue de ménage à trois à la Jules et Jim (où excellent cela dit Charlotte Gainsbourg, Yvan Attal et Charles Berling), mais bien pour une scène de dîner où toutes les tensions du film explosent dans le silence des jeux de regard, sur cette sublime chanson.

Waiting for the miracle & The Future

Toutes deux tirées de l’album The Future (1992), ces deux chansons ouvrent et clôturent le fameux Tueurs Nés d’Oliver Stone. Au même titre que le film, kaléidoscope permanent d’images de toutes sortes et de tous formats, la bande-son, réalisée par Trent Reznor de Nine Inch Nails, est un mix foisonnant de plus d’une quarantaine de morceaux, tripatouillés, remixés, triturés en tous sens pour coller à la féconde matière visuelle. A l’exception de ces deux morceaux.

Waiting for the miracle, ballade d’un amour perdu dont le timbre d’outre-tombe et la production lourdement dépressive font passer Everybody knows pour une bluette, introduit sans ambages le chaos qui va suivre. Oliver Stone monte sur cette musique une succession d’images torturées d’étendues désertiques, de prédateurs, avant de nous présenter l’un des bad guys du film : la télévision. Après un rapide zapping, introducing Mickey et Mallory, le couple de serial killers du film. Le morceau s’arrête sur des visions d’animaux écrabouillés, puis l’arrivée de leurs premières victimes, avant que la musique n’enchaîne sur un morceau de country puis sur le très bourrin Shitlist de L7.

A l’inverse de cette mise en ambiance sombre à souhait, le choix de The Future comme générique de fin surligne l’ironie d’un happy end voyant le couple en cavale se la donner avec leur progéniture fantasmée, toujours sur fond de montage syncopé : «I’ve seen the future, brother : it is murder». Comme Oliver Stone avec son film, Leonard Cohen crache dans ce morceau sa violente amertume d’un monde qu’il ne comprend plus. Pour rester dans ce ton, il suffit juste d’arrêter le film quand les crédits commencent à défiler, afin d’éviter d’entendre le dernier couplet et son message anti-avortement pas super finaud…

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