Julie Bérès : « Le réel comme déclencheur »

Théâtre / Après "Sous les visages", la metteuse en scène Julie Bérès présente "Notre besoin de consolation", sa nouvelle pièce créée il y a tout juste une semaine à Brest. Pour en savoir plus, on a rencontré cette artiste en plein dans son époque.

Dans votre nouvelle création, si j’ai bien tout compris, il sera question de science et de bioéthique…...

Julie Bérès : Il sera question du rapport que l’on a à la consolation et à la science comme sorte de nouveau Graal, avec des promesses comme celle de ne plus souffrir – physiquement ou psychiquement –, de vivre de plus en plus longtemps, de pouvoir choisir son corps, son visage…. Une science qui viendrait répondre à nos souffrances, à nos impossibilités, à nos limites, à nos faiblesses. Ce n’est donc pas la science en elle-même qui m’intéresse, mais la place qu’elle a et comment elle déplace le rapport que l'on entretient avec notre corps, avec nos limites.

En prenant le sujet par quel bout ?

Je n'ai pas voulu traiter un sujet en particulier. Je suis dans quelque chose de plus transversal, à savoir regarder le corps comme un réceptacle qui serait celui de notre époque. Par exemple, on entend de plus en plus parler de clonage, de fécondation in vitro…. Mais si l'on écoutait un peu plus les philosophes dans les débats scientifiques, on entendrait aussi parler de thèses eugénistes qui seraient réactivées.

J'ai donc voulu questionner les techniques qui se mettent en place pour répondre à des souffrances, comme les progrès extraordinaires sur la stérilité : des progrès qui offrent la possibilité de pouvoir acheter du sperme dans un endroit et des ovules dans un autre, de se faire fabriquer un embryon dans un pays et d'aller choisir une mère porteuse dans un quatrième pays !

D'un côté c'est fascinant, parce qu'avant c'était juste une injustice d'être stérile, alors qu'aujourd’hui, il y a quand même la possibilité d’avoir un enfant. Et d'un autre côté, si l'on prend cet exemple précis, il y a le développement d'un commerce, d'un marché, qui pose des questions sur la marchandisation du corps. Quand on sait ainsi qu’'une mère porteuse indienne coûte 5 000 euros, alors qu'une mère porteuse aux États-Unis va être payée 90 000 euros…

Comme dans chacune de vos créations, vous avez donc effectué, en amont, un travail de recherche, de journaliste…...

Au moment des répétitions, il y a un travail d'immersion documentaire que l'on met en place avec la scénariste, l'auteur et moi-même. J'ai fait un travail d'’interviews en Inde pour rencontrer les mères porteuses et pouvoir recueillir leurs témoignages. On est aussi allés interviewer le directeur d'une des plus grandes banques de sperme européennes, qui en vend sur internet et laisse à ses clients le choix du donneur et de ses caractéristiques, comme sur un catalogue : sa taille, son poids, la couleur de ses yeux, sa profession, et le prix de son sperme. On a aussi lu des articles, fouillé sur internet. Tout ceci a servi de déclencheur, de point de départ. Après est venu le temps du scénario, de l'invention d'une fiction, pour partir de ce réel-là.

Vous élaborez ainsi un théâtre véritablement contemporain, tant dans ses procédés que dans ce qu’il raconte…...

Ce qui m'intéresse, c’est de questionner le monde auquel j'appartiens.

On n’est donc pas prêts de vous voir monter un Shakespeare ou un Molière !

Ah ça, je ne sais pas ! Peut-être que l’'on peut aussi réenchanter ces pièces, les monter avec le regard de notre époque – ce que font très bien les grands metteurs en scène. Ça n’a pas été mon histoire, mais ça ne veut pas dire que ça ne le deviendra pas. Pour l'instant, pour moi, le déclencheur, c’est le réel.

Et Stig Dagerman dans tout ça ? Lui avez-vous seulement emprunté le titre de son texte phare [Notre besoin de consolation est impossible à rassasier] ?

Plus que le titre, son texte était vraiment un matériau qui nous a permis de structurer et d’'établir la dramaturgie. Dagerman pose la question de la consolation qui ne pourrait pas se rassasier, que l'homme est par essence fragile, limité, mortel, souffrant. Et c'est dans cette souffrance-là, dans ce manque-là, qu'il trouve la transcendance, qu'il trouve sa force, sa créativité. Cette fragilité n’est donc absolument pas à supprimer ou à éliminer.

NOTRE BESOIN DE CONSOLATION
Mardi 19 et mercredi 20 à 20h, à l’Hexagone (Meylan).

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