La grande bouffe

Edouard Baer présente cette semaine sa troisième mise en scène théâtrale, "Miam Miam", au Théâtre de Grenoble. L’occasion rêvée de s’entretenir avec lui sur ses conceptions artistiques - dans le plus pur respect de l’autre, ça va sans dire. Propos recueillis par François Cau

Petit Bulletin : Ce qu’on retrouve dans toutes vos mises en scène théâtrales et cinématographiques, c’est cette rupture radicale qui consiste à casser le mur du spectacle, à dire “stop, on arrête tout“ ; qu’est-ce qui vous pousse à revenir systématiquement à ce procédé ?
Edouard Baer : En même temps, au début de Miam Miam, on fait comme si le public n’était pas là, on joue une autre situation ; ça ne relève pas non plus d’une maladie qui consisterait à ne pas accepter la fiction ! J’aime bousculer les codes du spectacle, que ça s’arrête, que ça s’enlise, que ça reparte… Peut-être que j’ai encore du mal à me faire à l’idée de cette convention incroyable de centaines de personnes qui acceptent de se taire pendant deux heures pour voir des gens qui parlent fort. C’est une peur partagée par tous les comédiens, l’invasion des conventions théâtrales par la réalité, être frappé par le caractère grotesque d’être sur scène devant tous ces gens ; on a tous peur de l’accident, de l’interruption dans la salle, que quelqu’un se mette subitement à gueuler “bande de cons, de ringards“, donc c’est aussi une façon de l’exorciser.

Dans toutes vos œuvres, vous exprimez une énorme tendresse pour les artistes losers, incompris, que vous arrivez toujours à rendre magnifiques…
Je n’ai pas de goût pour les artistes au sens où je ne crois pas que certaines personnes soient artistes et d’autres non. C’est plus une prédilection pour les gens qui ne rentrent pas dans des cases. On vit dans un système auquel il est très dur d’échapper, qui nous responsabilise à outrance, donc les personnes qui arrivent tout de même à avoir une fantaisie particulière au milieu de ce monde quadrillé, pour moi elles font preuve d’une énorme énergie et d’un grand courage. Tout est fait aujourd’hui pour empêcher qu’on se crée des personnages, on est tous renvoyés à des statuts économiques ou salariaux, faut qu’on rentre dans des cases, des fichiers – heureusement qu’en France on n’a pas le droit de faire des fichiers ethniques ou religieux… Donc j’aime quand les gens ne ressemblent qu’à eux-mêmes, qu’ils s’inventent une vie, qu’on ne sache pas d’où viennent leurs goûts, je trouve ça très fort.

Par défaut, vos spectacles sont décrits comme relevant du “music-hall“, mais ce sont avant tout des énergies inattendues qui se confrontent…
Oui, il y a de ça, et parfois je fais comme certains films d’auteur qui se déguisent en films mainstream : le but est d’essayer de ressembler à une pièce classique, avec une intrigue, puis d’y rajouter des éléments surprenants, de l’humour paradoxal, des saynètes volontairement pas drôles, opposer des comédiens qui n’ont pas les mêmes codes de jeu, bref, ne pas rentrer dans les rails. Contrairement au cinéma, dans le spectacle vivant, les choses ne sont pas digérées, on peut encore créer de la surprise.

Vos créations reposent pour grande partie sur le principe de l’accident heureux, une forme de happening élaboré, comment arrivez-vous à juguler ça dans l’écriture ?
Certaines choses viennent après… Mais globalement, j’aime bien que les spectateurs ne puissent pas savoir ce qui est prévu ou pas, parfois les choses très écrites ont l’air d’être des impros, parfois il y a de vrais accidents. J’avoue que j’ai parfois un peu trop le goût de la cassure…

Quel regard portez-vous sur le personnage de Luigi au bout de trois créations ?
Ce dont je suis sûr, c’est que ça m’amuse plus que mes rôles cinématographiques de bobos distraits et charmants ! C’est beaucoup plus stimulant de jouer la mauvaise foi, l’autorité, des personnages comiques à la Jean Poiret ou De Funès qui vont dans la violence, la méchanceté, le cynisme. De pièce en pièce, je ne sais pas si c’est forcément le même personnage ; mais je suis tout à fait disposé à continuer ces spectacles. C’est vraiment rare de faire quelque chose où on s’amuse autant et qui marche, le rapport avec le public est extraordinaire, où qu’on aille. Si on le joue sans trop de fausses notes et que la salle n’a pas été louée par le Front National ou les pompes funèbres, ça fait rire et ça me fait rire. On a rarement ça au cinéma…

Miam Miam
Vendredi 5 et samedi 6 novembre à 20h30, au Théâtre de Grenoble.

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