En quête

Danseur chorégraphe et directeur artistique de la compagnie Malka, Bouba Landrille Tchouda présente à la Ponatière d’Echirolles sa nouvelle création, Murmures et termine dans quelques mois sa résidence à La Rampe. On l’a rencontré pour faire le point. Propos recueillis par Damien Grimbert

Petit Bulletin : À quel moment avez-vous décidé de tout investir dans la danse ?
Bouba Landrille Tchouda : Au moment où je me suis rendu compte que je pouvais dire des choses avec ma danse, sans parler, sans ouvrir la bouche, simplement en dansant. C’est à ce moment-là que la danse a commencé à devenir quelque chose de sérieux pour moi. Je n’ai jamais vraiment été un bon orateur, au contraire, parler en public me foutait un trac de fou. La danse hip-hop m’a permis de me découvrir, de voir que j’étais quelqu’un, que j’existais moi aussi, que je pouvais parler, dire des choses, et pas que des choses légères, avec cette danse-là. Le premier déclic, ça a été le "freestyle", le cercle dans lequel tu dois passer. Il s’est passé 5 ans entre le moment où j’ai commencé à danser hip-hop, et le moment ou je suis passé pour la première fois dans le freestyle. Tellement j’angoissais, tellement j’avais peur de mal faire, tellement je croyais que mon cœur allait s’arrêter. La première fois que je suis passé là-dedans, je me suis senti… fort, je me suis dit "plus rien ne peut m’atteindre", il y a une barrière immense qui est tombée. J’allais toujours à l’école à l’époque, mais quand je dansais, j’avais tellement l’impression d’être quelqu’un que ça dépassait tout pour moi, donc j’ai continué à bourlinguer, à rencontrer des gens, à sortir de plus en plus du département pour venir jouer dans des festivals...

Comment est née votre relation avec le Brésil, la capoeira ?
En 1993, je rencontre un maître de capoeira à Marseille, qui croit que je pratique depuis de nombreuses années, alors que c’est mon premier cours. Il trouve quelque chose de très naturel dans mon jeu débutant, et il me dit qu'après ce stage, si je viens au Brésil, il s’occupe de moi. Du coup, je vais au Brésil, à Salvador de Bahia, où je reste finalement deux ans. Et quand je reviens, c’est un gros changement pour moi, parce que tout d’un coup, je trouve des similitudes entre la capoeira et le break que je faisais au départ, dans les appuis notamment, et ça transforme encore ma manière de concevoir la danse hip-hop.

Et la danse contemporaine ?
Je ne savais pas trop ce que c’était à l’époque, mais je savais que quelque chose m’intéressait, sans arriver à dire ce que c’était. J'ai donc commencé à prendre des cours de danse contemporaine "pour voir", par curiosité, pour trouver ce qui me touchait là-dedans. Je n'ai pas réussi à trouver la réponse, mais mon intérêt s'est confirmé : j’étais ému par les pièces que je voyais, j’avais l’impression qu'elles me racontaient une histoire à moi, quelque chose que je percevais avec mes yeux, avec mon coeur, avec mon parcours, et c’est là que mon travail de danseur hip-hop a commencé un peu à se transformer. Au début, je prenais ces cours en cachette d'ailleurs, parce que je n’avais pas envie que mes potes se moquent de moi, me traitent de traître, d’homo... C’est des mots qu’on entendait beaucoup à l’époque, c’était important pour les danseurs hip-hop de rester hip-hop, les types se prenaient un peu pour des guerriers, des Superman... Mais moi je me suis toujours considéré d’avantage comme un nomade qu’un sédentaire, j’ai besoin de bouger, de rencontrer des gens...

Comment définiriez-vous le socle de votre travail ?
Ma démarche, c’est avant tout de chercher à rencontrer les gens par la danse, de me servir de la danse pour provoquer des émotions. C’est de me servir de mon énergie pour aller vers l’autre, et tenter de dire les choses qui m’interpellent, me questionnent, même si je n’ai jamais la réponse. Ensuite, ce qui va changer, ce sont les gens que je rencontre : une année je fais un travail avec le Brésil, l’année d’après, je suis sur un projet « franco-français », puis l’année suivante sur un projet franco-capverdien.... C’est ce va-et-vient qui est toujours différent, je me sers de ce que je vis ailleurs pour nourrir ce que je fais ici, et vice-versa, ça n’est que comme ça que j’avance. D'ailleurs je me demande souvent ce que je ferai quand j’arrêterai de danser, est-ce que je créerai de la même manière, est-ce que mes pièces auront la même force, la même pertinence, ou est-ce que je serai quelqu’un qui va, pour faire court, dans le sens de la mode. Tu vois, du style "tiens, en ce moment, les quartiers brûlent, je vais faire un truc sur les quartiers", etc.… Ça c’est quelque chose que je n’ai jamais réussi à faire. Suivre la mode. Déjà sur le plan vestimentaire (rires), mais encore moins sur l’actualité, sur le plan social. Pour faire simple, derrière chaque culture que je rencontre lors de mes voyages, il y a des êtres, des personnes, qui vivent ces cultures au quotidien, et ce qui m’intéresse à chaque fois, c’est "qu’est ce qu’on peut faire ensemble ?". Qu’est-ce que j’ai besoin de faire avec toi que je ne peux pas faire tout seul ? Qu’est-ce qu'il y a de commun entre toi et moi ? Ce sont ces questions qui me nourrissent.

Murmures, de la compagnie Malka
Jeudi 18 et vendredi 19 novembre à La Ponatière (Echirolles).

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