Armée d'une volonté à toute épreuve (il fallait bien ça), l'équipe de la Fabrique des Petites Utopies inaugure ce samedi le Caravansérail, pôle d'art nomade situé au cœur du quartier Mistral. Point sur la genèse d'un lieu encore en préfiguration. François Cau
Au Petit Bulletin, on suit le travail de la Fabrique des Petites Utopies et de son metteur en scène Bruno Thircuir depuis les débuts. On a toujours été francs sur leur boulot, tour-à-tour enthousiastes et plus réservés. Et au-delà de toute considération purement artistique, on leur a toujours reconnu le mérite considérable de s'ouvrir vers l'ailleurs, que ce soit par le choix de l'itinérance dans leur camion-théâtre, leur constant et salutaire travail de médiation auprès de tous les publics, ou leur soif inaltérable de pérégrinations qui a pu les mener en Bosnie, en Afrique et bientôt en Birmanie (où le climat politique ne s'est absolument pas détendu, malgré les récentes apparences). Pour résumer, même si l'on peut faire les fines bouches sur certaines créations, on les respecte pour leur incroyable détermination et leur croyance, tout simplement superbe, que rien n'est réellement impossible. La preuve : ces trois dernières années, tout en continuant leurs tournées, les utopistes ont implanté un chapiteau au beau milieu du quartier grenoblois dit “sensible“ de Mistral. Ils sont allés à la rencontre de ce lieu qu'une maigre poignée de rêveurs, comme les membres de Cultur'Act (voir ci-contre), se refuse à considérer comme une simple cité dortoir. Ils ont impliqué les habitants dans le processus de création de Tour Babel. Ils ont même fini par se faire surnommer “les magiciens“ par les gosses du coin. «Ce que je n'avais pas mesuré, c'est l'enjeu populaire d'un chapiteau. Quand je montais Sarah Kane, j'étais dans une envie de théâtre, point barre. Le camion-théâtre, c'est une baraque à frites ou un manège, les gens peuvent passer devant sans même le remarquer. Le chapiteau, non. Tu vois les yeux des mômes, tu sens que tu peux créer quelque chose chez des enfants qui n'ont absolument pas accès à ça», résume Bruno Thircuir. Et comme lui et ses complices sont de vrais tarés, ils se disent qu'ils peuvent aller encore plus loin.
Un pari à la hauteur de l'enjeu
En l'occurrence, créer sur place, en plein Parc Bachelard, le Caravansérail. Soit un pôle d'arts nomades, un point de ressources pour les compagnies itinérantes (mais pas exclusivement) qui regrouperait leur camion-théâtre, le chapiteau, une scène ouverte, des loges, des douches, des toilettes sèches, et où la Fabrique mutualiserait par ailleurs ses équipements lors de leurs périodes d'inutilisation. D'une part, ce pôle serait une bénédiction pour des compagnies souhaitant des temps de création et de résidence corrects, luxe de plus en plus inabordable aujourd'hui. Mais surtout et avant toute chose, le Caravansérail se poserait comme un outil de démocratisation culturelle indispensable, éclectique et accessible à tous, dans un quartier qui en a foutrement besoin. Des répétitions à toile ouverte aux représentations, tout serait fait pour une appréhension totale du travail et des outils culturels, qui plus est avec des formes artistiques variées, des arts du cirque au clown, en passant par le théâtre et la danse contemporaine. Voilà pour l'idée, une fois qu'on a fini de la présenter avec de la harpe en fond sonore, vient le temps de sa concrétisation qui, retournement de situation pétaradant, n'est pas si ardue que ça à mettre en œuvre. Enfin presque.
Gazon maudit
La Fabrique a préparé un dossier béton, qui souligne le caractère inédit dans le Département et même dans la Région d'un tel pôle artistique, mais surtout, son importance cruciale pour la vie de la Cité et de la cité ; le tout pour le coût «du budget annuel d'un quatuor à cordes». L'adjointe à la Culture Eliane Baracetti forme une commission d'élus qui accueillent l'initiative chaleureusement - hey, en même temps, un projet porté par une compagnie ultra motivée, au moment où il est plus que jamais nécessaire de désenclaver les zones urbaines “sensibles“, c'est un peu du pain béni... Sauf que dans un premier temps, selon la formule sinistrement consacrée, les caisses sont vides - la compagnie va se démener pour trouver l'argent nécessaire, notamment auprès de l'Europe et de la Metro, en faisant jouer sa compétence pour ce qui touche à la politique de la ville. Ensuite, les responsables municipaux des espaces verts s'y opposent, craignant pour la salubrité du parc – contrairement à votre serviteur, Bruno Thircuir ne s'énerve pas à cette annonce (et son inconscience flagrante des enjeux à l'œuvre) et s'engage à des opérations de regazonnage collectif. Oh, et il y aurait aussi, implicitement, la défiance quant au fait qu'une équipe artistique s'accapare le lieu ainsi créé – mais d'une part, on l'a déjà dit ici, ce n'est forcément abominable de confier une programmation culturelle à des artistes, et d'autre part, Bruno Thircuir précise «Je n'ai vraiment pas envie d'en faire mon lieu de villégiature, si je me fixe quelque part, je crève, l'historique de la compagnie le montre !». Pour l'instant, le lieu n'est pas pérennisé, affiche une programmation et un planning de résidence jusqu'à la fin de cette saison, est en “observation“. Mais malgré tous ces obstacles, le Caravansérail s'inaugure samedi, avec toute sa cohorte de promesses insensées. Vous savez quoi ? En utopistes convaincus, on y croit.
Inauguration et Fête du Caravansérail
Du 27 novembre au 11 décembre, sous le chapiteau du Parc Bachelard.