À tout juste 28 ans, Pierre Ducrozet a publié à la rentrée un premier roman décapant qui respire la fureur de vivre «Requiem pour Lola rouge». Esquisse de portrait d'un jeune homme qui n’aime rien tant que bourlinguer et écrire pour tenter d’exister dans un monde trop poli à son goût. Nadja Pobel
Alors il écrit. Beaucoup. Des poèmes, des textes fleuves pour des fanzines (sur le sport puis sur la politique, tendance anarcho-gauchiste forcément, quoi d’autre ?) ; il s’entoure de gens plus âgés que lui, happé par l’envie de découvrir le monde toujours plus vite. Puis ses premières publications sont des nouvelles dans des revues spécialisées. Enfin, il se fait critique pour le Magazine des livres auquel il collabore encore chaque mois. Mais surtout il voyage. Diplôme de sciences-po Lyon en poche, il part six mois faire un tour du monde. Kerouac est passé par là. À 20 ans, Pierre brave l’inquiétude de ses parents et part loin. Amérique du Sud, Australie, Asie du Sud-Est mais aussi Berlin ; il vit intensément, «essaye de brûler un peu» comme il l’a lu dans les livres. Et en rentrant, il écrit un premier roman, opte pour cette forme plus ample que la nouvelle car il veut développer ses personnages mais, de son propre aveu «ce récit était trop axé sur l’expérience brute du voyage et ne possédait pas assez de recul». C’est finalement il y a tout juste un an, à une semaine de son départ pour plusieurs mois de vie en Inde, que son quatrième manuscrit trouve un écho favorable auprès de Charles Dantzig. Séduit, l’éditeur de la maison Grasset le signe. Après une phase de retouches faites à Benares, au bord du Gange, Requiem pour Lola rouge compte parmi les 701 romans de la rentrée littéraire 2010.Mouvements
Sélectionné parmi les trente ouvrages de la rentrée par la Fnac, Lola a la chance de se démarquer de la masse. Pierre découvre des critiques élogieuses à son égard et vit «un rêve de gosse» malgré la déception d’être évincé d’une voix du deuxième tour de la sélection du prix de Flore. Retour désormais en Espagne où il s’est installé il y a quatre ans sans parler ni castillan ni catalan. Il travaille à son prochain roman (un road movie qui sortira de la bulle fantasmagorique de Lola) et vit de petits boulots dans les bars, de traductions et de cours donnés au lycée français à Barcelone puis bientôt à Madrid. Une fois encore, il est allé voir ailleurs et a trouvé en Espagne un air plus frais qu’en France : «l’atmosphère y est plus relâchée, plus hédoniste, les relations humaines sont moins contrariées par l’interdit». Les yeux ouverts grands sur le monde, il déplore que notre société se meure, rongée par «un courant hygiéniste qui polit les angles», se désole de l’absence d’utopie et se rassure de voir «la rage qui a animé les mouvements sociaux français de ces derniers mois». Le prix Goncourt attribué à Michel Houellebecq le réconforte aussi («un auteur qui possède un vrai ton et une vision du monde claire»). Mais Pierre Ducrozet songe déjà à repartir, peut-être aux États-Unis. Pourtant il dit «être revenu de l’idée romantique d’aller voir ailleurs. Ailleurs ce n’est pas le paradis mais ce qui compte c’est le mouvement».