L'emploi de la gueule

A l’affiche cette semaine du vaudeville hardcore "Un pied dans le crime" donné à l’Hexagone, Dominique Pinon dévoilera une des innombrables facettes de son jeu d’acteur, façonné de toutes les façons possibles et imaginables. Hommage. François Cau

A priori, comme ça, avec notre absence de cœur coutumière, on aurait toutes les raisons de ne pas trop aimer Dominique Pinon, du seul fait de ses apparitions plus que récurrentes chez trois cinéastes dont on goûte peu les travaux : Jean-Pierre Jeunet, Jean-Jacques Beineix et Claude Lelouch. Mais à un moment, faut arrêter la mauvaise foi critique. Déjà, parce que même si ces performances ont grandement participé à la construction de son aura d’acteur à un niveau international (chez Jeunet, surtout), elles ne sont au finish que des gouttes d’eau dans une filmographie riche de plus d’une centaine de titres. Ensuite, parce qu’elles ne trahissent en aucun cas la versatilité magistrale d’un interprète aussi à l’aise dans le cinéma d’auteur (comme par exemple dans le récent Mumu du grand Joël Séria) que - même si cet aspect de sa carrière est moins reconnu - dans le cinéma de genre complètement taré, toutes nationalités confondues (pêle-mêle, Dante 01 de Marc Caro, Crimes à Oxford d’Alex de la Iglesia, l’indescriptible nanar Humains de Jacques-Olivier Molon et Pierre-Olivier Thévenin, le cartoon live espagnol Mortadel et Filémon, ou les très fendards et très Z Darkhunters et When evil calls de Johannes Roberts). Ou enfin, parce que cette constance témoigne également d’une fidélité et d’une confiance rare accordées à un interprète par des cinéastes certes inégaux, mais néanmoins soucieux de repousser à chaque essai les limites de leur art, pour le meilleur et pour le pire. Et pour ce faire, Dominique Pinon est la surface idéale par laquelle exprimer toutes les audaces.

Bête de scène

Cet engagement à long terme, l’acteur l’exprime également quand il monte sur les planches de théâtre. Il est notamment l’interprète privilégié de Gildas Bourdet (ancien directeur du Théâtre marseillais de La Criée et de L’Ouest Parisien) et de Valère Novarina, qui auront tous deux employé le comédien pour donner vie à leurs propres créations textuelles et scéniques ; Pinon est en outre un habitué du metteur en scène d’origine argentine Jorge Lavelli, qui lui aura fait jouer Edward Bond, Luigi Pirandello, George Tabori ou Copi. Mais comme pour sa carrière cinématographique, ces trois exemples ne sont pas restrictifs, et se “contentent“ d’illustrer la palette incroyable d’un acteur qu’on aura trop souvent réduit à une gueule que Sergio Leone n’aurait pu s’empêcher de magnifier dans l’un de ses westerns spaghettis. Ni simple freak, ni simple bouffon, ni acteur de la méthode, ni improvisateur forcené, Dominique Pinon dépasse tous les stéréotypes pour mieux développer une gamme de jeu dont on ne cesse d’apprécier la richesse, aussi convaincante dans la retenue que dans l’expressivité la plus saugrenue.

Bourreau de travail

C’est ce qui reste le plus hallucinant avec Dominique Pinon : en dépit de sa suractivité démentielle, de sa présence continue sur les écrans, on continue de redécouvrir un comédien d’immense qualité, dont la variété des registres et des chemins artistiques empruntés ne nous lasse jamais. Dernier exemple en date : sa performance incroyable dans le court-métrage (visible gratuitement sur le net) de Patrick Boivin Le Queloune – un rôle muet de clown zombie tout juste revenu à la vie, découvrant sa nouvelle condition forcée ; une composition reposant uniquement sur la gestuelle et des mimiques outrées, où le comédien parvient à faire passer une foule d’émotions complexes sans mot dire, recouvert d’une couche épaisse de maquillage et d’un costume pas possible. Alors si très honnêtement et pour euphémiser comme des sales, on savoure à grand-peine le vaudeville théâtral et ses mises en scène contemporaines (les goûts et les couleurs, tout ça), on est tout de même foutrement impatient de savourer la présence unique de Monsieur Pinon en live.

Un pied dans le crime
Mardi 11 et mercredi 12 janvier à 20h, à l’Hexagone (Meylan).

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