Le vent se lève

VIE NOCTURNE/ La Spré, société qui « perçoit le droit des artistes interprètes et producteurs de disque », a concocté l’année dernière un nouveau barème pour les lieux sonorisés. Résultat : les tarifs dont les bars à ambiance doivent s’acquitter s’envolent. À Grenoble, la fronde s’organise, coordonnée par Aymeric Ponsart, gérant de l’incontournable Mark XIII. Avec sa verve habituelle, il s’insurge contre cette hausse « énorme », et pointe du doigt des questions beaucoup plus larges que soulève ce problème. Propos recueillis par AM

Petit Bulletin : Suite à une loi votée en janvier 2010, la Spré [Société pour la perception de la rémunération équitable] va donc augmenter ses tarifs de façon très significative. Une hausse que vous contestez…
En 2009, pour le Mark XIII, je payais 150 euros par an, soit 18% du montant de la Sacem [Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique]. On est passé, depuis le calcul de la nouvelle loi, à 360 euros par an : maintenant, c’est le minimum que tu paies avec leur nouveau barème. Et, pour 2011, la Spré veut nous taxer sur notre chiffre d’affaire, à hauteur de 1, 65%. Par exemple, dans mon cas, ce sera 2600 euros par an. Ça fait une hausse énorme ! Je ne suis pas contre une augmentation, mais dans un cadre raisonnable. Résultat, avec cette loi, je suis sur la même base que les discothèques, alors que nous avons des modes de fonctionnement différents : il n’y a pas de droit d’entrée dans les bars, on ferme à 1h du matin, les verres sont à moitié moins chers…D’où votre coup de gueule…
C’est surtout qu’il n’y a rien derrière cette définition floue de "bar à ambiance musicale (bam)" sur laquelle repose la loi. C'est-à-dire que le gars de la Spré – un seul pour tout Rhône-Alpes ! –, il arrive ici et il dit : toi t’es un "bam", toi tu n’en es pas un. Un exemple avec l’un de nos collègues, avec qui on s’entend très bien : le Subway. Lui craignait d’être "bam", puis finalement, il a appris qu’il ne l’était pas. Pourquoi ? Parce qu’il travaille du matin au soir : à midi il fait à manger, même si le soir, tout le monde va là-bas, boit des verres. Et il y a de la musique. Alors que moi, comme j’ouvre de 18h à 1h, je suis considéré comme "bam". Ce n’est pas de la jalousie, mais juste un exemple pour souligner le dysfonctionnement de cette loi.Derrière cette hausse, vous pointez aussi quelque chose que vous jugez plus sournois…
C’est une hausse qui n’est justifiée par rien. Quand tu leur poses la question [à la Spré], ils te disent que ça n’a pas augmenté depuis vingt ans, et qu’aujourd’hui, la musique a beaucoup plus d’importance dans les cafés. Sauf que moi, il y a vingt ans, j’avais 18 ans, et il y avait beaucoup plus de cafés à ambiance qu’aujourd’hui, parce qu’il n’y avait pas autant de pression. Du coup, ce n’est que du mensonge. La loi a été votée, on n’était pas au courant. Ils nous ont envoyé les documents d’information fin juin, juste avant les vacances. C’est plus tard, une fois que l’on a fait les calculs, que l’on s’est rendu compte que c’était du racket ! La Sacem, à la limite, c’est justifié, même si l’on peut critiquer le système de distribution. Alors que la Spré, c’est les interprètes – les mecs, ils chantent, point –, et en majorité les producteurs. Car la Spré est représentée par Universal et Emi : les majors. Alors on peut se demander : qui est responsable des pertes d’argent du secteur ? Sur qui faut-il aller taper ? Les petits bars à ambiance, ou plutôt les fournisseurs d’accès par exemple ? Bien sûr, en faisant ça, ils savaient ce qu’ils faisaient : ils pensaient que l’on ne réagirait pas. Sauf qu’ils se sont trompés !Que l’on comprenne bien : vous contestez le principe de cette hausse « exorbitante » et ses arrière-pensées, mais non l’idée même de rétribuer les artistes ?
Oui, et c’est bien ça qu’il faut expliquer aux gens. Ce n’est pas du tout le souhait de ne pas rémunérer les artistes, au contraire. Au Mark XIII, j’ai eu un label, je fais du management d’artistes… C’est juste qu’on ne sait pas où va cet argent, la Spré ne donne aucune réelle info. Après, on le sait en douce, quand on parle avec notre avocat : c’est fait uniquement pour renflouer les caisses des majors par rapport aux diminutions de ventes de disques. D’ailleurs, ils l’ont dit eux-mêmes dans une interview, sans qu’on leur pose la question : ça veut bien dire ce que ça veut dire !Où en êtes-vous dans vos actions ?
On s’est regroupés avec les principaux bars à ambiance grenoblois : le Phénomen, le Loco Mosquito, le Metropolitain, les Frères Berthom, l’Ouest… La contestation a commencé à Grenoble. Elle est maintenant en train de s’étendre dans le sud, sur la côte. Dans le nord, il y a aussi quelques personnes qui s’activent. Comme l’Umi, l’un des plus gros syndicats de cafés, hôtels et restaurants, a reçu des centaines et des centaines de lettres d’adhérents, ils ont été obligés de réagir : il y a eu une réunion le 12 janvier, où le directeur de l’Umi a clairement demandé de ne pas payer la Spré. Ou du moins de la payer comme avant. La Spré va ainsi devoir négocier avec l’Umi pour régler cette affaire-là. Et nous, à Grenoble, on sera clairement sans concession.

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