Cyclone à la Jamaïque

L'histoire a gardé Moonfleet, pas Cyclone à la Jamaïque. Dommage, pour un film de pirates autour de l'enfance, le second se défend presque mieux. Une ressortie en salles pour conjurer le sort ? Jérôme Dittmar

On imagine le "film de pirates" prince du serial régnant sur une époque où le cinéma était encore naïf. A bien regarder, on en a vite fait le tour, et les grandes oeuvres se comptent sur la main d'un contrebandier de Moonfleet. La ressortie de Cyclone à la Jamaïque, après des décennies d'invisibilité (sauf un DVD Zone 1 passable), rappelle que le genre tient plus de la légende que d'une réalité égale au western. Si le film de Mackendrick s'annonce donc comme l'occasion de raviver un rêve de gosse, il est toutefois un drôle d'objet, à la fois vrai film de pirates et pur récit initiatique, combinant à l'aventure une dimension sexuelle troublante qui en fait une oeuvre à part. Remonté, coupé, tourné contre la production qui espérait à l'époque disneylandisé ce qu'aujourd'hui personne n'oserait filmer, Cyclone à la Jamaïque est un grand film érotique et sur l'enfance. Une histoire singulière autour d'une jeune fille prépubère qui, prisonnière par erreur avec ses frères et sœurs d'une bande de pirates, va entretenir une relation ambiguë avec leur chef, Anthony Quinn.Pauline à la plage
A l'annonce d'un film bricolé dans le dos de son auteur, on craignait le pire. Si quelques ellipses se font sentir, ce qui survit sur la pellicule reste puissant. Par blocs de séquences tanguant des enfants et leurs jeux indolents aux pirates perturbés par cette présence, Mackendrick construit un monde vacillant où le romanesque et son fantasme sont sans cesse sublimés, vécus et renversés. Il bâtit une oeuvre unique sur l'amoralisme de l'enfance, l'imagination, la liberté, s'exprimant lors de scènes à la fois sèches et diluées aux contours flous. Ce rythme lent, structuré au travers des regards plutôt que dans l'action, donne sa force à un film centré sur cette jeune fille que Mackendrick érotise jusqu'à l'outrage, telle la clé de voute d'une zone trouble, le passage sensible de l'innocence, à la fois perdue et désirée dans un monde entre fascination et effroi. Quasi histoire d'amour impossible et inavouée pour l'adulte ; curiosité ineffable et séduction ambiguë pour l'enfant, Cyclone à la Jamaïque n'a pas peur de s'aventurer sur une pente glissante dont il sort indemne. Chez Mackendrick l'enfant n'est pas un ange mais sa pureté même meurtrière en fait une énigme. Sur son bateau, il épouse un imaginaire flibustier où les frontières n'existent pas. Autant dire un monde où l'ordre est bousculé et la morale sans boussole.Cyclone à la Jamaïque
D'Alexander Mackendrick (1965, EU, 1h43) avec Anthony Quinn, James Coburn, Deborah Baxter…

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