À contre-courant

Dans le sublime The Swimmer, Burt Lancaster rentre chez lui en traversant toutes les piscines qui le séparent de sa maison cossue aux alentours de New York. Mais en creux, Frank Perry filme en 1968 le crépuscule du héros hollywoodien, bientôt noyé sous un nouveau cinéma. Christophe Chabert

La beauté étrange qui se dégage de The Swimmer, film oublié, redécouvert, et prêt aujourd’hui à prendre sa véritable place dans l’Histoire du cinéma, tient d’abord à son esthétique un peu fanée. On a le sentiment d’un Technicolor délavé, comme un souvenir de la splendeur visuelle de Sirk ou Minnelli. The Swimmer n’a pourtant rien d’un film de studio ; il se déroule à l’air libre, et c’est même sa raison d’être puisque son personnage principal, Neddy Merrill, y prend la décision saugrenue de rentrer chez lui en nageant à travers toutes les piscines de ses voisins jusqu’à sa maison. Neddy Merrill sort littéralement de nulle part au début du film : on apprend qu’il est parti longtemps, mais pourquoi cet homme riche, ayant tenu un rôle majeur dans cette communauté de bourgeois aisés vivant dans la friquée de New York, a pris ses distances, il faudra beaucoup de brasses (coulées), de vagues (à l’âme) et de plongeons (en enfer) pour le découvrir.Dernier plongeon
Perry concentre pourtant tout le passé de Merrill dans le présent de son récit, et c’est en cela que The Swimmer fascine. Chaque rencontre, chaque étape viendra révéler au spectateur le véritable visage de Merrill. L’accueil bienveillant mais un peu gêné de ses premiers hôtes va devenir hostile lors des dernières «traversées» et Merrill se dégrade sous nos yeux, encaissant les coups mais reprenant sa course. Celui qu’on prenait au départ pour un héros viril, vestige vieillissant d’un mythe américain fertile, celui du mâle déterminé, séduisant et fort, s’avère en fait un lâche, brisé par son égoïsme et son orgueil. La cruauté envahit le film, et ce dès la formidable séquence où Merrill part cavaler avec une jeune fille qui, tandis qu’elle était la baby-sitter de ses enfants, caressait pour lui un désir sexuel qu’elle n’osait lui avouer. Merrill voudrait rattraper le temps perdu, mais c’est elle qui, aujourd’hui, le rembarre parce qu’il est trop vieux. Burt Lancaster est parfait dans ce rôle, acceptant avec courage de voir son image écornée, conscient peut-être qu’il n’aura plus jamais de personnages aussi forts par la suite. Car quelque chose est en train de changer dans le cinéma américain. Pendant que Neddy Merrill nage de piscine en piscines, deux hippies effectuent un périple à moto devant la caméra en liberté de Dennis Hopper. Easy Rider marquera l’avènement d’un Nouvel Hollywood qui allait tout balayer sur son passage : la fin de The Swimmer annonce métaphoriquement le devenir-fantôme d’un cinéma dont la luxuriance ne cache plus la ruine morale.The Swimmer
De Frank Perry (ÉU, 1968, 1h34) avec Burt Lancaster…

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