Taillé sur mesure

Artiste prodige, surproductif et aventureux, le Californien Daedelus est une sorte d’aventurier sonore, toujours à la recherche de nouveaux territoires à explorer. Portrait d’un dandy musical singulier, qui réconcilie dans la bonne humeur expérimentation et musique populaire. Damien Grimbert

Il faut bien le reconnaître, la première rencontre avec la musique de Daedelus laisse souvent un peu décontenancé. On est tout de suite conquis par sa richesse, son inventivité conquérante, la beauté fragile de ses compositions ; mais, en parallèle, on n’arrive pas vraiment à la raccrocher à quoi que ce soit d’autre, à la classer, même approximativement, dans telle ou telle catégorie. Et quand on cherche à en savoir plus sur le personnage, le mystère ne fait que s’épaissir : un look improbable de dandy victorien, et surtout une discographie pléthorique, plus d’une douzaine d’albums en à peine 10 ans d’activité. Du free jazz par là, de la musique brésilienne ici, pas mal de hip-hop, un peu d’électro rentre-dedans, de la drum’n’bass, de l’expérimentation pure et dure, des collaborations tous azimuts… Et paradoxalement, derrière ce chaos apparent, une certaine cohérence, une sorte de “ligne de conduite“, d’éthique musicale, qui donne envie de pousser plus loin l’investigation.Enfant terrible
Du coup, le plus simple est sans doute, comme souvent, de revenir au commencement. Né en 1977 à Santa Monica d’une mère artiste et d’un père professeur, Alfred Darlington est initié à la musique classique et au jazz dès son plus jeune âge, et apprend très vite à jouer de nombreux instruments. Alors que la plupart des jeunes de son âge passe les journées à skater en bande sous le soleil californien, il se passionne pour la mythologie grecque, et préfère rester seul, à évoluer dans d’improbables univers fictionnels issus de sa fertile imagination. À l’âge de 15 ans, pourtant, un déclic va avoir lieu. Lors d’un séjour à Londres, il se branche sur une radio pirate, et découvre d’un coup les sonorités frénétiques de la rave music anglaise du début des années 90. Il est tétanisé. De retour aux Etats-Unis, il tente avidement de retrouver les mêmes vibrations, la même énergie sauvage dans la scène locale environnante. En vain : à l’époque, en Californie, personne n’écoute de rave music, encore moins londonienne. Par défaut, il rallie différentes formations de rock et de ska, mais sans réelle conviction. À domicile, il écoute avec frénésie l’intégralité des catalogues Warp et Ninja Tune, s’initie au versant le plus expérimental de la drum’n’bass, découvre le breakcore naissant, puis commence à toucher aux platines, à faire de la radio, à jouer en soirées... Et se rend progressivement compte que c’est in fine auprès de la scène de producteurs hip-hop locaux qu’il se trouve le plus d’affinités. Nous sommes à l’aube des années 2000, et Daedelus s’apprête à faire ses premiers pas en tant qu’artiste. Il a enfin trouvé sa voie.Artisanat électronique
À bien y réfléchir, c’est sans doute là que se situe la clé pour appréhender la musique multiforme de cet ovni versatile. Passionné par des formes musicales auxquelles son environnement ne l’a pas préparé, forcé de s’initier en autodidacte à la production sonore, il va transformer cette frustration initiale en atout inespéré, tirer avantage de cette singularité pour en faire sa marque de fabrique, et gagner au passage le respect de ses pairs. Touche-à-tout surdoué, Daedelus enchaîne ainsi les expériences, vogue d’un label à l’autre (Plug Research, Mush, Ninja Tune, All City, Alpha Pulp, Brainfeeder, Warp Stones Throw), aligne les collaborations prestigieuses (Busdriver, Radioinactive, TTC, Mike Ladd, MF Doom, Flying Lotus, Nosaj Thing, The Gaslamp Killer)… Et constitue progressivement une discographie absolument unique en son genre. Car si aucun de ses albums ne ressemble au précédent, on y retrouve néanmoins en filigrane un certain nombre de dénominateurs communs : un soin maniaque apporté aux textures sonores, des mélodies splendides et lumineuses émergeant comme par magie d’un enchevêtrement savant de rythmiques a priori disparates, et surtout, un goût prononcé pour les arrangements baroques, loin de l’austérité aride de ses contemporains. Si la musique de Daedelus est relativement complexe, elle n’en reste ainsi pas moins étonnamment accessible. Comme si, obéissant à un code de conduite suranné, il mettait un point d’honneur à rester intelligible par le plus grand nombre, sur album mais également en live - un domaine où justement, il s’est bâti une réputation des plus élogieuses. C’est en tout cas ce que semble conforter la sortie, il y a quelques semaines sur Ninja Tune, de son dernier opus en date d’une élégance folle, Bespoke, porté par les collaborations vocales d’une poignée d’invités triés sur le volet.Daedelus
Vendredi 6 mai, site sommital de la Bastille, dans le cadre du festival Lumières sur la Bastille

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