Fin de la première semaine cannoise sous le signe de la transmission avec une compétition mi-figue mi-raisin où ce sont les cinéastes confirmés qui ont présenté les films les plus aboutis. Christophe Chabert
Une chose s'impose déjà concernant cette première moitié de compétition cannoise : elle rectifie les errances du cru 2010. Les films sont portés par des propositions de cinéma très fortes, loin des téléfilms académiques de l'an dernier, creusant des formes ambitieuses, trop ambitieuses même, mais qui ne paraissent pas déplacées dans un festival comme Cannes. Parlons des déceptions, d'abord. Sélectionné dans un premier temps hors compétition, The Artist de Michel Hazanavicius s'est vu repêché au dernier moment dans la course à la Palme d'or. Cadeau empoisonné car le costume est un peu large pour cet hommage fétichiste et déférent au cinéma muet hollywoodien, plaisant mais un peu light. La première demi-heure contient les meilleures idées du film et permet à Jean Dujardin de sortir un numéro d'acteur savoureux. Mais la suite n'est qu'une visite assez froide dans un petit musée cinéphile, où Hazanavicius peine à faire naître l'émotion nécessaire pour dépasser le fake nostalgique. Déception relative aussi pour Joseph Cedar : après Beaufort, il s'est lancé dans une comédie métaphysico-philologique (juste ça, ça sent déjà l'impasse) à la mise en scène débridée, dont la générosité flirte en permanence avec un total manque de rigueur. Footnote est donc très inégal, à la limite du raté, mais il y a de toute évidence un cinéaste derrière la caméra, qui ne tardera pas à mettre de l'ordre dans son imaginaire visuel et philosophique. À l'inverse, Sleeping beauty de l'Australienne Julia Leigh se fourvoyait complètement entre discours sentencieux sur l'état du monde gangrené par les rapports transactionnels et une mise en scène glaciale jusqu'au ridicule, écrasant tout sur son passage et oubliant simplement de conclure. L'autre premier film de la compétition, Michael de l'Autrichien Markus Schleinzer, a été accueilli par une terrible bronca lors de sa projection officielle. Un peu disproportionné, même si Schleinzer donne le fer pour se faire battre durant les vingt premières minutes, sorte de copier-coller scolaire du Haneke des débuts, suite de plans fixes vides d'action sur un sujet «choquant» traité avec pas mal de clichés. Heureusement, le film s'améliore ensuite, introduisant spectacle et humour noir dans son dispositif verrouillé. Pas génial, mais pas nul non plus.
Place aux vieux !
Deux films signés par des réalisatrices ont divisé les festivaliers : We need to talk about Kevin de Lynne Ramsay et surtout Polisse de Maïwenn. Dans le cas de Ramsay, on assiste à un cas exemplaire de cinéaste qui affaiblit une matière romanesque passionnante, complexe et riche (comment une mère vit dans la culpabilité permanente d'avoir enfanté un monstre de haine ayant commis un crime impardonnable) par des tics de mise en scène souvent grossiers, pensant produire un cinéma de la fascination alors qu'il semble virer à plus d'une reprise à l'esbroufe pure et simple. Maïwenn, à travers sa longue plongée dans le quotidien de la Brigade de Prévention des Mineurs, paraît obsédée par l'idée de créer un cinéma ultra-réaliste qui s'affranchirait du scénario et des personnages pour parler avec le cœur de l'actualité la plus brûlante. Beaucoup trop long, émaillé de fautes de goût gênantes, plutôt démagogique dans ses raccourcis politiques, Polisse a toutefois un atout majeur dans sa manche : Joeystarr, tout bonnement énorme, et portant au sein d'un casting pourtant pléthorique le seul véritable arc dramatique du scénario. Tous ces films, auxquels on pourrait ajouter les excellents Minuit à Paris de Woody Allen et Le Gamin au vélo des frères Dardenne, posaient à leur manière l'idée de la transmission, thème transversal de la compétition dans sa première partie, que ce soit entre un père et son fils (Footnote), une mère et son enfant (We need to talk about Kevin), une coiffeuse et un gosse abandonné (Le Gamin au vélo), un pédophile et sa victime (Michael), des écrivains fantômes et un scénariste hollywoodien (Minuit à Paris)... Le choix de Thierry Frémaux de faire cohabiter cinéastes confirmés et jeunes talents encore en germe aurait pu lui aussi refléter ce désir de passage de témoin. Mais à ce petit jeu, ce sont les «anciens» qui pour l'instant triomphent des «modernes». Ainsi de Habemus papam, le beau film simple et immédiat de Nanni Moretti, où le cinéaste italien, bien épaulé par un Michel Piccoli en pape dépressif arpentant les rues de Rome à la recherche de ses rêves enfuis, fait preuve d'une force tranquille pour conduire son récit entre humour et mélancolie, désarroi très contemporain et réflexion sur la vieillesse comme angoisse existentielle. Chez lui, comme chez les Dardenne, Woody Allen ou Gus Van Sant (dont le superbe Restless a fait souffler un vent d'émotion en ouverture d'Un certain regard), pas besoin de fioritures visuelles, de dispositifs alambiqués ou de grandes théories de la mise en scène ; juste l'intuition des grands cinéastes qui savent où poser leur caméra pour donner un point de vue, du sens et de la vie aux histoires qu'ils racontent. Avec l'arrivée de Malick, Cavalier, Von Trier et Almodovar en compétition cette semaine, on prend le pari que la tendance va s'amplifier encore.