L'art à perte ?

Il est des petits lieux à Grenoble qui, en marge des musées, errent dans la nébuleuse de l’art contemporain à la recherche d’artistes à soutenir et révéler : les centres d’art et les galeries, privées ou publiques. Naturellement, on s’interroge sur leur fonction et leur fonctionnement. Laetitia Giry

Il est nécessaire de distinguer deux types de galeries : celles que l’on admet communément, les galeries privées souvent réunies par grappes dans certains quartiers des villes ; et celles que l’on peut par erreur assimiler aux premières, les galeries municipales. Ces dernières s’apparentent plutôt à des centres d’art et sont gérées par des équipes dépendant des mairies. L’agglomération grenobloise en compte deux : l’Espace Vallès de Saint-Martin-d’Hères et le Vog de Fontaine (dont le statut officiel est d’ailleurs désormais celui de centre d’art). Cette dépendance économique ne limite pas pour autant la liberté fondamentale présidant à ces lieux, celle de choisir sans restriction ni commande, de construire sa ligne et son identité. D’autant qu’à l’argent de la ville s’ajoutent diverses subventions qui font vivre ces espaces d’accueil et pérennisent un aspect essentiel de leur fonctionnement : l’absence totale d’intérêt financier. Au même titre que les centres d’art ne vivant que de fonds publics, comme le Centre d’Art de la Bastille, le OUI, le Laa ou encore le Magasin – dont on a déjà vanté l’importance ici. Si les artistes exposés sont susceptibles d’être représentés par une galerie privée en parallèle, ce cadre, espace public, n’est pas un nid à collectionneur et n’a pas vocation à vendre. C’est la différence fondamentale avec les galeries privées. Et ce même si, comme le reconnaissent Frédéric Guinot et Bertrand Bruatto de l’Espace Vallès, il leur arrive de jouer les intermédiaires entre un acheteur potentiel et l’artiste. Concernant l’étroitesse du lien entre ces lieux et les décisions de la commune, l’Espace Vallès nous l’assure : « C’est leur équipement mais nous le gérons. C’est nous qui concevons et défendons les projets. » Une autonomie revendiquée qui va de pair avec une confiance sans faille en l’avenir. Mais sur ce point, tout dépend évidemment de la commune concernée, de sa gestion et des fluctuations politiques dont elle est une victime potentielle.En privé
Les galeries privées quant à elles représentent des artistes, vendent leurs œuvres, vivant pour ainsi dire de la valeur qu’ils acquièrent. En la matière, Grenoble n’est pas un cas très représentatif du marché de l’art. Car Grenoble n’est ni Paris ni New York, et pas même Lyon. Les galeries véritablement engagées dans une démarche de diffusion de l’art contemporain sont quasi-inexistantes et ce sont les cas particuliers qui sont les plus dignes d’intérêt. La galerie Spacejunk (rue Génissieu) a beau avoir un statut privé, elle ne touche absolument rien des cachets. D’autres, qui défendent des artistes ayant déjà attiré notre attention, s’avèrent être le fait de passionnés pouvant se permettre d’avoir une activité de galeriste non rentable en plus d’une autre. Ainsi de la galerie Trait Nouveau (rue Voltaire), dans laquelle sont vendus des meubles et confectionnés des sacs, et où seulement deux artistes ont pour le moment présenté leurs dessins. Ou de la galerie Zig zag, ouverte en 1984 par Jacques Scrittori et Sido Bertucat (dont le cabinet d’architecture d’intérieure est situé juste en face), qui présente avec une parcimonie calculée et assumée des artistes pour lesquels les intéressés ressentent une authentique bienveillance et une vraie fascination artistique. Si « l’argent des ventes ne fait pas du tout tourner la galerie », cela n’a pas d’importance pour Sido, qui considère que « le rôle d’un galeriste est de sentir », son but premier étant de « donner des choses à voir aux gens ».Plutôt périr
A leur échelle, les lieux évoqués ici participent d’une dynamique absolument contraire à la logique de marché régissant le monde de l’art contemporain : les expositions organisées ne rapportent financièrement rien à personne. Tout au plus donneront-elles aux artistes l’occasion d’être remarqués, un peu plus, un peu mieux. Mais, pour prendre l’exemple le plus extrême, elles sont encore loin les résidences en Chine (faisant, de fait, leur apparition), investissements pour artistes en recherche d’acheteurs. Car comme nous le disait il y a quelques mois le critique d’art Jean-Luc Chalumeau : « En ce moment-même, tous les ans il y a cent milliardaires en dollars de plus en Chine. Ils ont une trentaine d’années, ils sont richissimes et totalement incultes. » Le royaume de l’appât du gain : voilà une entreprise rentable, voilà la tare de la création d’aujourd’hui, le terreau de la confusion entre commerce et création. En l’absence de véritable courant, au milieu d’une génération que l’on dit sans idéaux ni combats, ne ressortent donc que des personnalités, qu’il convient de trouver et reconnaître. Ce que s’ingénient à faire les personnes évoquées ici : débusquant des artistes à leur goût sans se soucier de leur valeur pécuniaire. Des découvertes qui, fussent-elles sporadiques, hautement subjectives, parfois inoffensives voire douteuses, ont le mérite de faire survivre le continuum de la création dans une forme d’authenticité désintéressée, et c’est déjà ça.

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