«J'ai cessé de modifier la réalité»

Rencontre avec Steven Soderbergh. Propos recueillis par CC

Vous avez voulu faire de "Contagion" un film réaliste et sombre. Comment y êtes-vous parvenu ?
Steven Soderbergh : La première règle, c’était de ne pas aller dans des endroits où nos personnages n’avaient pas été. On ne pouvait pas raccorder sur Mexico ou Johannesburg, et montrer une bande de figurants mourir alors qu’on ne les a jamais vus auparavant à l’écran. C’est le genre de choses que l’on voit dans les films catastrophe. Cela force à trouver des solutions où les personnages vivent des situations qui suggèrent une échelle plus grande. L’autre règle, c’était de ne pas donner aux effets physiques de la maladie des formes trop improbables, comme du sang qui coule des yeux. Il fallait que ça corresponde à ce que nous imaginions du virus : une rapide et massive dégradation du cerveau.

Le film montre comment un virus moderne voyage, mais aussi comment l’information et les images voyagent parfois plus vite que ce virus…
Oui, beaucoup plus vite ! C’est effrayant et c’est ce que nous avons découvert avec l’épidémie d’H1N1, qui s’est produite pendant qu’on travaillait sur le premier jet du scénario. Nous en discutions avec les scientifiques pour leur demander ce qui se passait. Et ils nous disaient que tellement d’informations circulaient sur internet qu’ils ne savaient pas comment la contrôler. C’est à ce moment-là que Scott Burns a créé le personnage de Jude Law : c’était une autre conséquence virale avec laquelle il fallait composer. Il fallait cette voix dans le récit, simplement car cette voix existe et elle n’est pas prête de s’éteindre.

Comment avez-vous réussi à convaincre une actrice connue de jouer un personnage qui meurt dix minutes après le début du film ?
Je crois qu’elle était très intéressée par le sujet. Dans son cas, c’était quatre jours de tournage. Donc pourquoi pas ? Elle aimait le côté Psychose de la chose… Ce n’est pas tous les jours que l’on tue une star de cinéma. Et nous en tuons deux !

En quoi le fait de travailler avec des caméras numériques a-t-il changé votre manière de réaliser ? J’ai l’impression que c’est aussi à cela qu’on doit le style plus réaliste de vos derniers films…
Je pense, oui. Elles sont si sensibles que quand je me trouve dans une pièce comme celle-ci, tout est là. Je pourrais compter sur les doigts d’une main les moments où j’ai utilisé dans Contagion de la lumière additionnelle. Le fait de pouvoir tourner jour et nuit, dans n’importe quelles circonstances, transmet une énergie. Nous tournons très vite, et quand nous utilisons plusieurs caméras, tous les plans sont utilisables. C’est réel, c’est vrai. C’est aussi ce que j’ai appris avec les caméras numériques : résister à l’envie d’enjoliver les choses. Il y a six ans, j’aurais corrigé l’image ; maintenant, si c’est laid, ce sera laid. J’ai cessé de modifier la réalité.

 

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