"Invisibles" de Nasser Djemaï : mon vieux

Théâtre / Pour sa troisième pièce en tant qu'auteur, le Grenoblois Nasser Djemaï s'intéresse aux travailleurs immigrés restés en France sans leur famille. Et offre un spectacle d'une justesse de ton remarquable.

Les invisibles, ce sont ces « travailleurs immigrés, écartelés entre les deux rives de la Méditerranée, qui ont vieilli ici, en France » explique en note d'intention l'auteur et metteur en scène Grenoblois Nasser Djemaï. « Ils sont restés seuls, pour des raisons diverses. La France est devenue leur pays, mais ils sont devenus des fantômes. » Un constat cruel et désabusé sur une société française qui a longtemps fait appel à une immigration de travail, mais qui a ensuite refusé de considérer ces travailleurs comme des citoyens à part entière.

Nasser Djemaï s'est ainsi servi d'une histoire à la Wajdi Mouawad centrée sur la quête des origines (à la mort de sa mère, un jeune homme apprend qu'il a un père, et part à sa recherche) pour dresser le portrait de ces Chibanis (cheveux blancs en arabe) aujourd'hui à la retraite et vivant en groupe dans des foyers, loin de la collectivité et – surtout – de leur famille restée au bled.

Je t'aime, moi non plus

En suivant les énigmatiques derniers mots prononcés par sa mère sur son lit de mort, Martin, agent immobilier à la morale douteuse, se retrouve au contact de cinq de ces Chibanis. Tout le spectacle est construit autour de cette rencontre, improbable et inattendue. Martin se voit alors diversement accueilli par ses hôtes temporaires : certains lui ouvrent affectueusement les bras, découvrant en lui un nouveau fils, quand d'autres préfèrent rester en retrait face à cet inconnu venu bouleverser leur mode de vie bien réglé.

Mais derrière ce jeu du chat et de la souris écrit au cordeau, et défendu par des comédiens touchants (dont un duo convaincant entre David Arribe dans le rôle du fils et Lounès Tazaïrt dans le rôle du fauché mais optimiste Driss), un sous-texte fort émerge, très loin de la condescendance. Car après Une étoile pour Noël et Les vipères se parfument au jasmin, ses deux premières pièces où il interprétait (non sans humour) tous les rôles, Nasser Djemaï continue de porter avec justesse et force une parole imprégnée des récits liés à l'immigration, sans oublier qu'il s'agit avant tout de faire du théâtre.

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