Le rire est le propre de la fille

Christine Berrou, ancienne journaliste devenue humoriste, présente son one woman show à Vizille au moment de la sortie d’un livre où elle explique comment écrire… un one man show. Présentation et entretien avec cette talentueuse représentante d’un humour au féminin en plein renouveau. Christophe Chabert

Singulier parcours que celui effectué par Christine Berrou. Née en Bretagne, à Quimper, en 1982, elle fait ses armes dans la presse écrite locale, avant de prendre une voie totalement différente pour devenir humoriste. Après la galère des débuts — et un ange gardien inattendu, Bernard Werber, l’auteur des Fourmis et de l’immortel nanar Nos amis les terriens — les choses décollent quand France 4 lui propose de participer à On achève bien l’info, émission hebdomadaire animée par Yassine Belattar. Elle y croise Kyan Khojandi, qui n’est pas encore le créateur de Bref. Vient ensuite la matinale du Mouv’, toujours avec Yassine Belattar. Des expériences qui lui servent de rampe de lancement et vont l’inscrire dans le paysage du comique français. Son one woman show s’affine (et se rebaptise… The One !) et elle commence à jouer à merveille de ce qui fait sa singularité : un physique à la Christina Ricci, une voix suraigüe comme une petite fille qui n’aurait pas mué et un vrai trait d’auteur, recherchant un humour caustique plutôt que complice. Profitant du coup de projecteur lancé par certains médias (comme le site web madmoiZelle.com) sur les humoristes au féminin, elle prend l’initiative d’embringuer ses copines Anne-Sophie Girard, Bérengère Krief et Nadia Roz dans un spectacle commun, où elles se relaient sur scène pour présenter leurs sketchs persos, et se retrouvent ensemble pour en assurer les intermèdes. Avec une pointe d’auto-ironie envers le phénomène girly auquel elles participent mais dans lequel elles ne veulent pas être enfermées, elles appellent ce spectacle Le Connasse comedy club. Enfin, comme si tout cela n’était pas suffisant, elle vient de publier aux éditions Eyrolles une méthodologie pour écrire son one man show. Loin d’être un manuel scolaire (même si les apprentis comiques auraient tort de prendre ses conseils à la légère), on y retrouve la plume légère et incisive de la chroniqueuse aussi à l’aise sur scène, devant un micro ou dans les colonnes d’un mensuel. Tout cela valait bien une interview !

Comment es-tu passée de journaliste à humoriste ?
Christine Berrou : Pour moi, c’était évident, j’ai toujours su que je voulais faire ça. Chaque fois que j’avançais dans ma carrière de journaliste, je savais que je faisais une connerie. Et quand on m’a proposé un bon boulot en CDI en 2007, j’ai senti que si j’acceptais, je faisais une énorme erreur.

Est-ce que c’était un rêve un peu abstrait ou est-ce que tu as toujours écrit des sketchs, sans oser franchir le pas ?
J’écris depuis que j’ai trois ans. J’écrivais dans ma chambre et je montrais les sketchs à ma sœur. Plus tard, j’ai écrit un spectacle avec ma professeur de français, et on l’avait monté à l’école. Mais c’est toujours difficile de mettre des mots sur ce genre de passions, c’est comme regarder un film avec Gene Kelly et s’imaginer qu’on va danser comme lui. Est-ce que c’est un vrai métier ? Est-ce que c’est possible de le faire ? J’ai donc décidé de partir à la recherche de ce rêve…

Tu t’es lancée dans l’inconnu ou est-ce que ton expérience de l’écriture journalistique t’a aidé pour ton one woman show ?
Effectivement, le point commun entre le journalisme et l’humour, c’est l’écriture. Quand j’ai décidé de me lancer en juin 2007, cela faisait tellement longtemps que j’avais envie de faire ça que le spectacle a été écrit très vite. La première année, tout a été assez simple. La deuxième était plus difficile, il a fallu trouver un autre élan.

Quelles ont été ces difficultés dont tu parles ?
Je suis montée à Paris, je ne connaissais personne, ce n’était pas évident, alors que je suis quelqu’un qui a sans cesse besoin d’affection. Quand je faisais des scènes ouvertes, les gens étaient contents, mais je partais à la fin sans dire au revoir, sans rester pour discuter avec les spectateurs. J’étais terrorisée. Quand j’ai commencé à la télé sur France 4, le défi c’était d’être drôle toutes les semaines. Ensuite, quand le spectacle a commencé à tourner, il ne fallait plus décevoir.

En quoi cette expérience à la télé puis à la radio t’a permis de progresser ?
C’est d’abord une question de chance. J’ai eu de bonnes opportunités pour apprendre partout. Sur France 4, j’ai travaillé avec quelqu’un d’exceptionnel qui s’appelle Kyan Khojandi ; à la radio, j’écrivais des lettres d’amour aux invités, notamment Jacques Weber ou Isabelle Nanty, des gens que j’admire et avec qui s’établissait une relation très intime, qui se prolongeait autour d’un café après l’émission.

Quel a été l’itinéraire de ton spectacle ? Tu l’as d’abord joué en mercenaire dans des petites salles et peu à peu, tu as reçu des propositions de salles plus importantes ?
Ce qu’il faut savoir, c’est que le spectacle a beaucoup évolué en cinq ans, et qu’il a fallu un temps avant que j’en sois fière. Disons que ça fait six mois que j’en suis satisfaite… Mais c’est comme en amour : depuis que je suis fière de ce spectacle, les gens me courtisent, me proposent des dates… Au début, on m’a dit que j’avais une belle plume, mais que je ne l’assumais pas sur scène. C’est vrai que jouer un one, ce n’est pas comme jouer du Molière ; tu ne peux pas te cacher derrière le texte d’un autre. J’ai donc eu un vrai travail à faire par rapport à ça.

Est-ce que tu appartiens à une génération d’humoristes au féminin, disons la génération post-Florence Foresti ?
C’est vrai que le paysage humoristique français s’est beaucoup renouvelé ces dernières années. Au-delà de la question des filles humoristes, j’ai par exemple commencé dans le même théâtre et en même temps que Gaspard Proust. Florence Foresti a légitimé un humour au féminin qu’on pensait réservé à des comédiennes moches ! Aujourd’hui, il y a beaucoup de filles qui font de l’humour, parfois très jolies, et c’est comme dans le reste de la société, ça comble une inégalité. Mais je rencontre encore la misogynie dans les yeux des gens, par exemple chez Philippe Bouvard.

En même temps, tu ne fais pas dans l’humour girly…
Non, ce n’est pas girly, mais je veux pouvoir le faire si j’en ai envie. Si je veux faire un sketch sur les problèmes avec mon mec, je sais que c’est possible. Mais ma plume est plutôt noire et décalée.

Est-ce pour montrer la complémentarité de cet humour au féminin que tu as créée, avec Nadia Roz, Anne-Sophie Girard et Bérengère Krief, le Connasse comedy club ?
C’est beaucoup moins intellectualisé que ça. On est très amies, on fait le même métier, on a eu envie de se réunir. Il s’agissait de prendre les choses en main et de s’amuser ensemble, pas de surfer sur une mode.

Mais vous ne pratiquez pas le même genre d’humour…
Oui et non. C’est la force du Connasse comedy club : Anne-Sophie joue la fille fashion, sophistiquée, Bérengère est plus girly, Nadia chante, danse et fait figure de petite sœur. J’ai écrit les interludes entre les sketchs, j’y ai mis une patte absurde dans la lignée de mes maîtres les Monty Python. Mais elles se sont approprié mes textes et y ont apporté leur propre univers.

Tu viens de sortir un livre, Comment écrire un one man show. Qu’est-ce qui t’a poussé à le faire ?
Là encore, il ne s’agit pas de surfer sur une mode. Mais en écoutant certains de mes collègues sur France 4, j’ai commencé à recenser les architectures comiques qu’ils utilisaient, puis j’ai continué en regardant des films comiques. J’ai vu que c’était toujours les mêmes, et j’en ai noté 27. J’ai mis ça de côté, puis j’ai essayé de caser un roman qui a été refusé partout. Finalement, j’ai envoyé mes notes à un éditeur, et il m’a demandé de les développer.

Est-ce que ce livre te permet de faire se rejoindre tes deux «vies», le journalisme et l’humour ?
Avant d’écrire, j’ai beaucoup analysé Le Rire de Bergson, et j’ai constaté qu’il arrivait aux mêmes conclusions que moi, mais avec des exemples différents, bien sûr. Ça choque quand je dis ça, mais il y a une science de l’humour, une technique du rire. Effectivement, ce travail d’analyse et d’observation rejoint la pratique du journalisme…

Tu es en train d’écrire un roman sur le milieu de l’humour ?
C’est encore un projet… Pendant ces cinq ans, j’ai vécu beaucoup d’expériences qui m’ont fait grandir. Et j’en ai vu de belles : de la solidarité mais aussi des couteaux dans le dos. J’ai besoin de dire aux gens : voilà, c’est ça, le monde des humoristes, sans forcément citer des noms. De toute façon, même quand il y a des couteaux dans le dos, c’est souvent la peur qui pousse à agir ainsi.

Tu cites le film Funny people dans ton livre ; est-ce que ton roman ressemblera à ça ?
Oui, sauf qu’Apatow a voulu raconter trop de choses dedans. Mais, par exemple, j’aime beaucoup cette scène au début où un personnage marchande cinq minutes de présence sur scène. C’est exactement ça, l’humour : un marchandage pour se faire remarquer !


Christine Berrou
À La P’tite salle de Vizille, vendredi 10 février
«Comment écrire un one man show» (Eyrolles)

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