Vertigo

Le Magasin est envahi cet hiver par l’esprit, la fougue non-contenue et les délires incontrôlés de Lili Reynaud-Dewar, une artiste déterminée et déterminante dans le paysage de l’art contemporain militant. Une exposition à voir malgré son relatif – et paradoxal – mutisme. Laetitia Giry

Reconnaissons tout de suite que ce à quoi l’on a affaire relève d’une absolue cacophonie. Bavarde à l’extrême sur son travail, Lili Reynaud-Dewar (artiste française née en Bretagne en 1975 et vivant à Paris) place manifestement le dire avant le faire. Les objets exposés, elle les récupère, les déplace, les dispose, mais ne les crée pas. Ce qu’elle crée ? Une nouvelle fonction par « l’émancipation de la fonction » première. Dans le monde sur-référencé et sur-pensé qu’elle déploie : on trouve les germes des motivations qui l’animent, les traces des pensées qu’elle mue en autant de combats. Corédactrice en chef de la revue féministe Petunia, elle a notamment participé à l’exposition elles@centrepompidou en 2009 – étape salutaire ayant fait grand bruit à raison. Ici, chaque salle est numérotée et abrite un capharnaüm de formes qui parfois enthousiasment, quelques fois désespèrent, mais dont la réunion interpelle.

Nuée politisée

C’est bien l’idée d’une lutte politique contre les discriminations qui vient gouverner les agencements des innombrables éléments convoqués par Lili pour former ce tout protéiforme, vomissant ses rages dans le bruit et l’étouffement dû au remplissage. Dans chaque salle résonne un lourd fond sonore provenant des plus de 8h30 de films projetés au mur, sur des supports papiers ou diffusés par l’intermédiaire de multiples télés. Les murs et sols brillent d’un mutisme contradictoire : criblés de textes et d’affiches, ils participent à la transmission de la fièvre nécessaire aux êtres en lutte. Son ambition pour cette exposition était de reconstituer son intérieur, de s’approprier les lieux en y élisant domicile par le mime des pièces d’une maison (bureau, salle à manger, etc.) ; le résultat tient plus du dévoilement de son for intérieur, de ses fantasmes à ses obsessions, du foisonnement rationnel de ses idées au fourmillement plus insidieux de ce qui lui échappe. Les œuvres pourraient communiquer, mais elles submergent. L’ampleur du message resserre petit à petit le visiteur dans un étau sensoriel impossible à prévoir et le travail effectué dans la Rue – rayures noires sur fond blanc, miroirs et photos de l’artiste nue peinte en noir dans ce décor – gagne après la visite le statut de degré zéro, laissant le même visiteur en suspension au centre d’un encéphalogramme plat : l’artiste a dit ce qu’elle avait à dire, le bourdonnement qui reste agira (ou pas) dans la conscience de chacun.


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