« Une fenêtre imaginaire »

Pour l’expo "Visages-fenêtres", l’artiste grenoblois Nosca a choisi de travailler avec quatorze détenus de la maison d’arrêt de Varces. Chacun d’eux a pu s’exprimer par le collage d’images sur une mystérieuse boîte que le public est invité à ouvrir… Genèse et déroulement du projet. Propos recueillis par Laetitia Giry

Comment t’est venue l’idée de travailler avec des détenus ?
Nosca
: Ça faisait quelques temps que je menais des interventions parallèlement à mes expositions et projets personnels. Comme j’avais fait plus de public jeunesse qu’adulte, j’avais envie de changer d’interlocuteur. J’ai conçu une espèce de petit dossier que j’ai déposé au service pénitencier. On m’a répondu et je suis allé à une réunion, on a discuté du public, des projets qui avaient l’habitude d’être menés, de ce qu’ils attendaient de mon intervention. Je suis reparti avec des textes écrits par différents artistes et personne ayant travaillé dans ce milieu-là, ce qui m’a aidé à me familiariser avec ce milieu et les préoccupations des détenus.

Pourquoi les as-tu fait travailler sur des boites à ouvrir et fermer par le public ?
J’avais en tête Down by law, le film de Jim Jarmusch : trois personnages sont enfermés dans une prison, personne ne se parle et la première chose que fait le personnage incarné par Roberto Benigni (toujours aussi jovial), c’est de prendre une craie pour dessiner une fenêtre imaginaire sur le mur de la cellule - le point de départ de la discussion, de leur rencontre. Sachant qu’il existe une publication sur tous les projets menés en milieu carcéral, qui s’appelle Dedans-dehors. L’idée était de réfléchir à quelque chose qui ait un lien avec l’extérieur sans forcément rentrer dans une sorte de documentaire de ce qu’il se passe à l’intérieur de la prison ; mais de jouer le rôle de quelqu’un qui vient de l’extérieur et qui apporte autre chose. Entre la bouffée d’air et ce film, l’idée de la fenêtre semblait naturelle. Ayant de mon côté travaillé sur l’identité et les détournements d’affiches publicitaires (desquelles j’enlevais les visages des personnages pour ne laisser qu’un trou duquel naissaient d’autres chose, ou pas),   j’ai conçu une boîte, un contenant à la légère profondeur dont les portes s’ouvrent et se referment, avec l’idée de mettre un visage sur l’extérieur dissimulant le mystère de ce que l’on pourra trouver à l’intérieur. Est-ce que la béance est maintenue ou bouchée ? Un système qui permettait de poser plein de questions aux détenus.

Concernant le déroulement du projet…
Mon idée de départ était de partager ma pratique, de leur donner les moyens de s’exprimer et non faire un projet pour moi. Chaque groupe était mobilisé deux fois par semaine pendant un mois et demi. Au début, ils étaient suspicieux, se demandaient un peu qui j’étais et ce que je voulais ; ça demande un temps d’adaptation, comme dans tous les milieux et tous les métiers. Une fois la confiance installée, l’investissement de leur part était total. J’arrivais dans la salle avec mon stock d’images et du matériel. Après un temps de discussion, est venu le processus de sélection de documents, puis de collage. On a essayé de construire du sens à partir de ça.

Comment considères-tu les résultats ?
Il y a ceux qui ont fait le choix de ne pas du tout parler de leur condition actuelle, prenant l’atelier comme moyen de s’évader : avec un retour sur des racines, une projection idéale d’un avenir. D’autres ont eu besoin de poser les choses. Je n’imposais aucune restriction mais les ai parfois incités à être plus implicites, moins linéaires sur les messages à faire passer. Je trouve que pour des amateurs, certains ont eu des prises de position plastiques fortes sans tomber dans les écueils du collage, avec une ligne droite et un impact direct. J’ai pu noter par ailleurs que, n’ayant pas dans la prison la surabondance d’images à laquelle on est confrontés à l’extérieur, la moindre image est signifiante et a de la valeur à leurs yeux. Ils n’avaient pas envie de détruire les images – ce vers quoi je tends plus dans mon travail : ce décalage était intéressant, je le respecte.

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