L'Enfant d'en haut

Sur la piste des frères Dardenne, Ursula Meier invente un récit où un gamin choisit de résoudre à sa manière, radicale, la fracture sociale. La fiction est pertinente, même si elle est rattrapée par un excès de scénario et quelques scories esthétiques. Christophe Chabert

Action, action, action… La manière dont Ursula Meier filme son jeune héros Simon (Kacey Mottet-Klein, qu’elle retrouve trois ans après Home) commettant ses forfaits au début de L’Enfant d’en haut rappelle immédiatement le cinéma des frères Dardenne. La caméra colle aux basques de l’enfant, le montage enlève tout ce qui pourrait relever du temps mort ne conservant que ses gestes, méticuleux, pour arriver à ses fins : dérober dans une station de sport d’hiver les biens des nantis en vacances pour ensuite les rapporter «en bas», dans le HLM où il vit avec sa sœur (Léa Seydoux, débarrassée de tout apparat glamour, assez épatante), et organiser une lucrative économie parallèle. Meier ne juge pas Simon : laissé à l’abandon (pas de parents, une sœur qui vivote entre des petits boulots, un mec avec qui elle s’engueule régulièrement et des soirées d’alcool triste), cet enfant sauvage engagé dans une mécanique de débrouille et de survie est même une vraie source de fascination pour la cinéaste. Chef de famille malgré lui, ayant compris les règles du jeu social et refusant de s’y soumettre, Simon est un beau personnage de cinéma, comme on en trouve souvent, une fois encore, chez les frères Dardenne.

Le gamin aux skis

La mise en scène a d’autres vertus, comme celle de matérialiser littéralement le contraste entre le haut et le bas, les paysages blancs où l’horizon se dégage devant les téléphériques et celui, gris et bouché, d’un immeuble cerné par les montagnes et entouré de terrains vagues. Mais c’est le scénario qui a des faiblesses : la fiction rebondit sur des révélations que l’on devine assez vite, fait émerger des personnages qu’il abandonne en cours de route (le cuisinier complice) ou dont il ne se sert que comme vecteur des intentions de l’auteur. Ainsi de la mère de famille jouée par Gillian Anderson, image idéale pour Simon d’un foyer uni, aimant et confortable, mais qui peine à exister en dehors de cette fonction. Quelque chose ne prend pas dans L’Enfant d’en haut, qui tient notamment à la photo datée d’Agnès Godard, mais aussi à son refus d’adopter une voie claire pour sa dernière partie : boucler la boucle ou la laisser ouverte, laisser le temps flotter et l’espace désolé recouvrir son héros ou le ramener à la réalité… Entre le haut et le bas, le film se bloque au milieu de nulle part, indécis plutôt qu’indécidable.

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