Big Mac

Avec quatre films à l’affiche entre août et décembre, Matthew McConaughey est incontestablement la star de cette rentrée cinéma. Pourtant, qui aurait parié un kopeck sur cet ex-jeune premier romantique, Texan pure souche perdu à Hollywood où la valeur d’un acteur flambe plus vite que les cours de bourse ? Récit d’une métamorphose… Christophe Chabert

«Tout ce que je connais, c’est le Texas !» C’est ainsi que les frères Coen ouvraient leur premier film, Blood simple. Cette maxime, Matthew McConaughey pourrait la faire sienne. Le Texas, il y est né, et sa première apparition marquante sur les écrans français le montrait en shérif d’un patelin texan dans le Lone star de John Sayles. Quinze ans plus tard, après bien des détours, c’est le Texas qui l’appelle à nouveau et lui permet d’endosser ce qui est sans conteste un de ses plus grands rôles à ce jour : le flic pourri qui arrondit ses fins de mois en jouant les tueurs à gage dans Killer Joe (en salles le 5 septembre), dernier film choc de William Friedkin. Mais que ce soit dans l’excellent Magic Mike de Steven Soderbergh en patron d’un club de strip-tease à Tampa, dans la tambouille érotico-policière The Paperboy (le 19 octobre) de Lee Daniels en journaliste gay revenant dans sa Floride natale pour enquêter sur un condamné à mort, ou encore dans le génial Mud (le 19 décembre) de Jeff Nichols où, mi-pirate, mi-hors-la-loi, il échoue sur une petite île dans le Mississipi, McConaughey ne cache plus ses racines sudistes. Ce qui était un handicap pour le jeune premier pasteurisé se rêvant tête d’affiche de superproductions hollywoodiennes et de comédies romantiques en série, est devenu un atout pour un comédien en pleine renaissance, enchaînant petits et grands rôles avec les cinéastes les plus farouchement personnels qui soient.

Dans l’ombre des stars

Jeune premier romantique : l’étiquette n’a de toute façon jamais collé avec McConaughey. Son physique bizarre, grand front et mâchoire prognate, qu’il a beau compenser en sculptant avec application abdos et pectoraux, jure avec les autres beaux gosses de sa génération. McConaughey n’a pas non plus fait la différence avec sa technique, si bien qu’entre la dure loi de la jungle hollywoodienne et les mauvais films dans lesquels il s’est aventuré (Sahara, un sous-Indiana Jones vite oublié, En Direct sur Ed TV, une critique proprette de la télé réalité qui ne tenait pas la comparaison avec le Truman Show, ou l’improbable Règne du feu, croisement gonzo entre héroïc fantasy et science-fiction post-apocalyptique), l’acteur aurait pu finir parmi les has-been du cinoche américain, enchaînant séries B et nanars jusqu’à l’oubli complet. C’est finalement la chance qui l’a remis à flot : il reprend au pied levé un rôle écrit par Ben Stiller pour son pote Owen Wilson, convalescent après une tentative de suicide, dans Tonnerre sous les tropiques. Il y est l’agent âpre au gain mais fidèle d’une méga-star hollywoodienne aussi stupide que lui. On ne saurait être plus clair : avec une dose d’autodérision insoupçonnée, McConaughey accepte d’aller jouer les seconds rôles dans l’ombre des acteurs hype du moment. Il se fait ensuite remarquer dans l’adaptation de La Défense Lincoln, avant de retourner jouer les seconds rôles de shérif texan dans l’encore inédit Bernie aux côtés de Jack Black.

Gueule cassée

Finalement, le vrai coup de bol de McConaughey, c’est que cette renaissance créative va tomber au moment où des cinéastes américains, et pas des moindres, redécouvrent le sud des États-Unis sans pour autant en livrer une vision caricaturale. Même quand le vétéran Friedkin fait de Killer Joe une galerie de rednecks dégénérés, cupides et méchants, il a l’intelligence de ne jamais offrir de contrechamp à cette microsociété dégénérée. Si bien qu’au milieu de cette famille d’idiots, McConaughey n’a aucun mal à imposer un certain raffinement et un charme vénéneux qui font de cette incarnation du mal à l’état pur un monstre de séduction comme on en n’avait pas vu depuis De Niro dans Les Nerfs à vif. Quant à Jeff Nichols, il trouve chez l’acteur une présence mythologique qui lui permet de très vite atteindre l’objectif qu’il s’est fixé : faire renaître dans une histoire originale l’esprit des grands récits d’aventure à la Mark Twain. L’interprétation que McConaughey fait de Mud le transforme en archétype du mauvais garçon traqué par la justice et porté par un idéal romanesque et amoureux aussi absolu qu’illusoire. Gueule cassée, verbe rare, sens de l’action et de l’instinct de survie, source de fascination et de crainte, il invente un personnage inoubliable dans un film qui ne l’est pas moins tout en prenant toute sa carrière à rebrousse-poil. Finalement, la scène qui décrit le mieux la mue de McConaughey, on la trouve dans Magic Mike : face à un miroir, il apprend à Adam (Alex Pettyfer), strip-teaseur novice, les bases du métier. Il se regarde dans la glace, mais son regard dévie et son reflet finit par nous regarder nous. Au-delà de l’exploit technique du comédien, cela en dit beaucoup sur l’acteur : autrefois, il cherchait à tout prix le regard du spectateur, narcisse hollywoodien comme il y en a beaucoup ; aujourd’hui, ce qu’il veut surtout, c’est que chacun de ses rôles soit un miroir tendu vers notre propre nature humaine dans ce qu’elle a d’ambivalente, de grandiose ou de pathétique. Welcome back, mister McConaughey !

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