Alyah

Faux polar suivant la dérive existentielle d’un dealer juif qui tente de raccrocher pour s’exiler à Tel Aviv, le premier film d’Elie Wajeman opère un séduisant dosage entre l’urgence du récit et l’atmosphère de la mise en scène. Christophe Chabert

À 27 ans, Alex Rafaelson est dans l’impasse. Dealer de shit tentant de se ranger des voitures, il n’arrive pas à se décoller d’un frère, Isaac, dont il éponge les dettes et dont il dissimule les embrouilles sentimentales. Un soir de Shabbat, son cousin Nathan lui propose de devenir son associé pour ouvrir un restaurant à Tel Aviv ; mais pour cela, Alex doit faire son Alyah — la procédure de demande d’exil en Israël — et réunir 15 000 euros. Si Alyah possède les atours du film noir, avec son héros cherchant à échapper à son destin en s’offrant un nouveau départ, quitte à sombrer un peu plus dans la délinquance en passant au trafic de cocaïne, Elie Wajeman s’est fixé un cap plus complexe et ambitieux pour ses débuts dans le long-métrage.

Exil existentiel

C’est d’abord l’observation d’un milieu, la communauté juive, qu’il traite dans tous ses paradoxes, subissant autant qu’elle profite de sa culture — liens familiaux écrasants, ombre du sionisme transformée en point de fuite existentiel… C’est ensuite le beau dialogue qu’il instaure entre les urgences de son récit, de l’apprentissage de l’hébreu à la nécessité de se procurer la somme nécessaire pour quitter le pays, et la mise en scène, qui au contraire privilégie l’atmosphère des séquences et leurs moments de suspension. S’en dégage une belle vérité humaine, qui doit aussi beaucoup à une direction d’acteurs sans faille : Pio Marmaï trouve enfin un grand rôle qui confirme la palette de jeu qu’on soupçonnait chez ce beau gosse impétueux ; et face à lui, Wajeman a eu l’intelligence de confier à un Cédric Kahn débutant devant la caméra le personnage d’Isaac. Voix grave, regard perçant, corps massif : Kahn est une révélation, immédiatement crédible en grand frère jouant sur la culpabilité de son cadet pour conserver sa domination. Cet affrontement, tout de masculinité virile, est bousculé par l’irruption de Jeanne (Adèle Haenel, sans doute la plus anticonformiste des jeunes comédiennes françaises, alliant charme et caractère), qui renvoie ce combat de coqs à un pathétique concours de lâcheté. Dans Alyah, les femmes viennent régulièrement remettre les hommes à leur place, minuscule et pathétique, et ce n’est pas la moindre de ses vertus. On regrettera seulement que, dans un film plutôt tenu et subtil, Wajeman ait besoin d’en passer par un deus ex machina scénaristique grossier pour aboutir à une conclusion attendue, et que le rythme patine un peu dans le dernier tiers. Mais il y a là suffisamment de maîtrise pour avoir envie de le classer dans la liste des cinéastes français à suivre.

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