«Des sentiments, pas de sentimentalisme»

Rencontre avec Stéphane Brizé, réalisateur de "Quelques heures de printemps", cinquième film de cet amoureux des silences gênés, des plans séquences qui donnent le «vertige» et d’un cinéma qui créerait des émotions (fortes). Propos recueillis par Christophe Chabert

Comment en êtes-vous venu à écrire ce scénario original, après l’adaptation d’Éric Holder pour Mademoiselle Chambon ?
Stéphane Brizé : Mademoiselle Chambon est pour l’instant l’exception, c’était la seule adaptation que j’avais faite jusqu’ici. Après, comment naît une histoire, c’est une question que l’on pose régulièrement aux réalisateurs, et ils répondent en général que c’est assez mystérieux. Dans mon cas, c’est très organique : quelque chose dans ma vie me pousse vers une histoire. Il y a deux choses ici : la difficulté de communication entre un fils et sa mère, c’est autour de cela que l’on a tout structuré ; et un autre élément dramaturgique fort, le choix de cette femme de mettre fin à ses jours par un suicide assisté. Je crois que c’est la première fois qu’on le voit dans une fiction. Ça étonne, ça questionne, ça fait écho à des choses qui sont évoquées en ce moment par les politiques.

Est-ce que ce qui rend possible un film pour vous, c’est le moment où les deux comédiens s’imposent ?
Pas du tout, ça ne part pas d’un comédien. L’envie était partagée avec Vincent Lindon de retravailler avec lui, c’était clair. Mais la nécessité de raconter une histoire est pour moi supérieure à la volonté de travailler avec quelqu’un. Il ne me doit rien, je ne lui dois rien, mais si nos chemins peuvent se recroiser, je ne vais pas me gêner. Vincent est une des belles rencontres de ma vie. Au-delà du fait qu’il est un grand acteur, c’est une personnalité pas banale. Ça se traduit à l’écran par son talent, mais l’homme compte dans ma vie ; c’est quelqu’un qui questionne tout le temps, il est tellement vivant qu’il nous oblige à l’être. Il n’est jamais tranquille donc ne laisse jamais personne tranquille. Moi, ça m’arrange, ça m’évite de m’endormir.

Et en ce qui concerne Hélène Vincent ?
On n’a pas du tout pensé à elle en écrivant. Si tant est qu’on pensait à quelqu’un, la figure qui revenait, c’était Simone Signoret. Ensuite, comme aucune actrice ne s’imposait naturellement, on a fait un casting. Et Hélène Vincent était certainement la comédienne la plus éloignée de ce que j’imaginais du personnage. Elle est toujours distribuée dans des rôles pleins d’énergie, pétillants. Alors Hélène Vincent vient passer les essais : elle met une petite blouse, elle s’attache les cheveux, et immédiatement les contours du personnage que vous voyez à l’écran sont là. La rugosité, la nervosité, la sécheresse… Mais en plus, c’est le mystère des grands acteurs, elle a amené le vécu du personnage, le off. Et c’est parce qu’on ressent ce qu’a été cette personne qu’on la défend au présent. Au départ, elle n’est pas spécialement aimable. Mais par ce que je ressens de ses regrets, je vais finir par être en empathie avec elle. J’ai tout de suite dit à Hélène : ce sera vous. Tout ce que j’imaginais émotionnellement du personnage était là. Enfin, il y avait peut-être une nécessité supérieure chez Hélène pour faire ce rôle par rapport aux autres.

Dans le film, les moments de paroxysme sont les moments où ils déclenchent la violence pour pouvoir communiquer…
Entre deux personnes, quand il y a de la violence, il y a le désir, même inconscient, d’un lien. On peut toujours se dire : je me barre et c’est fini. Si les deux personnes restent en communication, c’est qu’il y a l’envie d’un lien.

Est-ce votre goût du silence qui vous pousse à tourner en plans séquences, en apparence très simples, mais en fait très chorégraphiés, avec beaucoup d’actions venant des acteurs ?
Mes personnages sont tout le temps en train de faire quelque chose. Ils sont obligés car sinon, ils seraient face à l’autre. Quand on épluche une pomme, c’est très pratique pour éviter le regard. Par ces plans-séquences, ce qui m’importe, c’est de faire émerger des moments de vérité. C’est ce qui me donne envie de me lever le matin pour aller faire des films : je sais qu’un jour, je serai sur le plateau avec les acteurs, et qu’on va essayer de choper un moment de vérité. Ça passe par le choix des acteurs, l’endroit où on va placer la caméra et le plan-séquence me permet de capter ça. L’autre chose qui fait que j’ai envie de faire ça, c’est créer des émotions. Le cinéma est pour moi un art populaire qui crée des émotions, du rire ou des larmes. Je ne veux pas avoir l’air d’être intelligent ; je veux bouleverser les gens, en utilisant des outils un peu élégants et une certaine éthique.

Le paradoxe, c’est que le film est assez sec, sans pathos, sans psychologisme, et en même temps absolument poignant…
Il n’y a que de la psychologie même si je ne la montre pas. Mais il n’y a aucune conscience de mes personnages sur ce qu’ils sont. Par contre, ils font : leur manière de se mouvoir, d’exister nous montrent ce qu’ils sont. C’est vrai qu’il y a un paradoxe entre cette sécheresse et l’envie de déclencher des émotions très fortes. C’est ma personnalité : je n’ai pas envie que les choses soient démonstratives, j’adore les sentiments mais je déteste le sentimentalisme.

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