Jason Bourne : l'héritage

L’odyssée de Jason Bourne (et la patience de Matt Damon) arrivée à son terme, Tony Gilroy se voit confier la mission de relancer la franchise en inventant un récit parallèle. C’est raté sur toute la ligne : bavard, mal raconté, pauvre en action et parfois ridicule, cet héritage ne vaut pas un kopeck. Christophe Chabert

En s’emparant de la franchise Jason Bourne, dont Doug Liman avait signé le brouillon plaisant avec La Mémoire dans la peau, Paul Greengrass, jusqu’ici connu pour sa passionnante reconstitution du Bloody Sunday irlandais, avait fixé une nouvelle ligne esthétique au blockbuster hollywoodien : caméra à l’épaule nerveuse et frénétique, action épileptique, hyper-réalisme des combats et des poursuites. Le style était si frappant qu’une partie des yes men hollywoodiens ont tenté de l’imiter, jusqu’à l’absurde (Marc Foster dans Quantum of Solace). Greengrass et son acteur Matt Damon ayant tiré un trait définitif sur le super-agent amnésique, le studio devait trouver une solution pour continuer la franchise.

Plutôt que de faire un reboot avec un nouveau comédien, les executives se sont un peu creusés les méninges, et ont propulsé Tony Gilroy, déjà scénariste de l'opus précédent et réalisateur de Michael Clayton (bâillement) et Duplicity (re-bâillement), derrière la caméra. Il en est sorti une idée qu’on taxera d’audacieuse, même si cela reste relatif : inventer un programme parallèle au programme Treadstone, six super-agents que l’on tente de modifier génétiquement en leur injectant un virus et en leur faisant gober des pilules vertes et bleues pour s’assurer qu’ils supportent les transformations musculaires et cérébrales. La soif de vengeance de Bourne et la menace de révélations venues d’un journaliste sur le scandale Treadstone poussent donc cette cellule spéciale de la CIA à liquider les agents, dont Aaron Cross (Jeremy Renner), nouveau héros de l’aventure.

Film d’inaction

Le film surprend au départ par sa volonté de sous-enchérir face à La Vengeance dans la peau. Ni surdécoupage, ni caméra secouée, et surtout aucune scène d’action ; Jason Bourne : l’héritage démarre par une laborieuse introduction en montage alterné où Cross fait une sorte de trek extrême en Alaska pendant qu’à Washington un Edward Norton fatigué met en place la manipulation pour l’éliminer. Gilroy, comme il le faisait dans ses films précédents, montre des gens qui parlent, mais ne sait absolument pas mettre en scène ce dialogue. Comme si le scénariste et le réalisateur formaient une entité bicéphale incapable d’instaurer un dialogue productif, aucune action ne vient troubler la récitation appliquée du texte : assis, debout, dans un bureau ou dans une voiture, face à des écrans ou face à leur supérieur, les personnages de Gilroy ne font rien d’autre que parler.

En cela, ce Jason Bourne-là n’est, au trois quarts, composé que de scènes d’inaction. Si le scénario était passionnant, si le texte était virtuose, si les acteurs étaient inspirés, on pourrait pardonner une telle déflation. Mais rien du tout, car les frères Gilroy ne font que noyer le poisson en plaçant ici des flashbacks atmosphériques, là une tambouille verbale pseudo-scientifique. Surtout, le film n’a absolument aucun humour. Cet esprit de sérieux pourrait être louable face à la dérision qui gangrène les divertissements hollywoodiens. Mais il se retourne littéralement contre un film qui se voudrait complexe et qui n’est en définitive que mal raconté, très mal raconté.

Profondément prétentieux

L’échec est encore plus patent quand, après une heure d’ennui assez colossal, le film se pique quand même d’accomplir son programme de blockbuster d’action. Là, c’est panique à bord : Gilroy ne trouve jamais ses marques, hésitant entre copier maladroitement le style Greengrass (la poursuite en moto finale, grotesque) ou en prendre le contrepied (la fusillade dans la maison, au découpage plus classique). Rien ne marche vraiment, sinon cette séquence où un scientifique pète les plombs et se met à abattre froidement ses collègues enfermés dans un laboratoire à la blancheur immaculée. Mais c’est un autre film, un appendice lointainement raccroché à la mythologie Jason Bourne que Gilroy semble trouver trop vulgaire à son goût. C’est peut-être une question de fond qu’il faudra aborder un de ces jours : pourquoi Hollywood va-t-il démarcher des cinéastes cérébraux pour mettre en scène ses films d’action ? Hier Nolan, aujourd’hui Gilroy, demain Sam Mendes pour le prochain James Bond… Il y perd en efficacité ce qu’il pense gagner en profondeur. Mais cette profondeur est traître et, The Dark Knight rises l’avait déjà montré, elle peut tout aussi bien s’avérer pure et simple prétention.

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