« Ne pas faire de la guimauve »

Formé il y a près de quinze ans par le rappeur et beatboxer Napoleon Maddox et le saxophoniste Jack Walker, Iswhat ?!, bercé par la musique galvanisante de Charles Mingus et John Coltrane, impressionne sur scène autant qu’il questionne sur sa dernière production. Morceaux alambiqués, utilisation de cuivres, flow saccadé : on a connu porte d’entrée plus accueillante. Mais cette intransigeance vaut à Iswhat ?! de fournir des productions irrévérencieuses, totales et passionnées. Rencontre avec Napoleon Maddox, le leader du groupe.

On cite souvent Portland, Baltimore, San Francisco et New York pour évoquer la culture musicale américaine récente, mais moins Cincinnati, d’où vous venez…
Napoleon Maddox :
C’est une ville qui évolue en bien pour les musiciens. Depuis peu, beaucoup d’argent et d’énergie sont investis dans la culture et offrent la possibilité aux artistes de travailler dans la ville sans besoin d’aller ailleurs. Pour ma part, j’ai aussi ramené des guests à Cincinnati pour des concerts. Tout ça contribue à l’expansion de la culture. Vous savez, on connaît des dizaines de problèmes là-bas, d’ordre social. Mais ça n’empêche pas de trouver pléthore de spectacles en tous genres dans les banlieues, qui n’ont rien à voir avec celles en France. Au niveau des arts visuels c’est aussi très développé. C’est cool.

Dans quel genre musical vous situez-vous ? On a du mal à trancher entre hip-hop et jazz.
Je crois que l’album est plus hip-hop. C’est la marque de fabrique depuis le début : prendre des éléments d’un peu partout. Les amoureux de jazz diront que ce n’est pas du jazz, mais si quelqu’un affirme que ce n’est pas du hip-hop, ça veut dire qu’il n’a pas saisi ma démarche. Il y a de nombreux instruments, beaucoup de musiciens, et ça s’inspire de différents genres, notamment l’électro.

Quels artistes écoutez-vous ?
Pour cet album, j’ai beaucoup écouté Lhasa. Je regrette vraiment de ne pas l’avoir rencontrée avant sa mort. Aussi pas mal de musique classique : Ravel, Stravinsky. Comme toujours, des artistes jazz. J’ai une profonde admiration pour Nina Simone. Et du hip-hop, forcément. Vous connaissez Jay Electronica en France ? Il est incroyable. C’est très intellectuel. Et c’est du hip-hop, vraiment. J’aimerais moi-même faire de la musique forte, puissante, intellectuelle. J’aime ces artistes comme Public Enemy qui rendent la musique plus intelligente tout en parlant des problèmes qu’on voit dans la rue.

Et la musique, vous en faites pour payer le loyer ou y a-t-il une visée plus revendicative ?
Les deux ! Il y a une motivation politique car certaines choses, je me dois de les dire. Ok, j’aime la musique, produire un album créatif, j’adore la poésie, la danse… Je suis un créatif. Mais la seule raison à ça est le fait que je conçois la musique via le prisme de ma propre existence. Chacune de mes chansons peut être considérée comme un petit livre, un chapitre de ma vie. L’expression de quelque chose que j’ai vraiment vécu, qui m’a touché. Ça touche mon âme, ma vie, donc forcément j’ai envie de le partager.

Bon nombre d’artistes ont encensé votre travail, comme Public Enemy, ou encore des maîtres du jazz… Qu’est-ce que ça représente ?
(Embarrassé) Oui, il y a aussi Saul Williams… Ca me motive pour bosser encore plus dur, pour être plus investi dans ce que je fais. Parce que ma musique n’est pas conçue pour être au top des charts. Evidemment, il y a une sorte de machine qui régit la musique commerciale. Donc le soutien d’autres artistes est très important pour enrayer cette machine, justement.

Est-ce que vous avez écouté l’album de Kanye West et Jay-Z pour préparer le vôtre ? Certaines chansons sont ressemblantes…
J’ai écouté leurs albums solo respectifs mais pas Watch The Throne. Seulement trois chansons de ce disque.

On entend du français et du portugais dans vos chansons, en plus de l’anglais, sur The Good Fight notamment. Pourquoi ?
J’aime les langues, leurs textures, leurs sonorités… Je voulais être capable de m’adresser à un large panel de personnes qui aiment le hip-hop, pas seulement aux anglo-saxons et aux fans de hip-hop.

Vous utilisez également des voix d’enfants sur votre dernier album Things That Go Bump In The Dark (2012), ce qu’on retrouve de plus en plus dans les productions actuelles…
En fait, dans le morceau en question, Wtf, le gamin raconte l’histoire du livre What is the What de Dave Eggers (2006). C’est une histoire vraie, ça parle de guerres, de choses horribles et je trouve que lorsqu’un enfant les narre, c’est plus vrai, plus charnel et réel. Bien sûr qu’un adulte est conscient de ces problèmes dans le monde, mais l’enfant seul dans le noir utilise des bruits, des cris. Dans ma chanson, il raconte comment des hélicoptères débarquent et détruisent son village. On voulait rendre ce moment le plus marquant et pesant possible.

Mais un enfant, c’est aussi l’incarnation de l’innocence, non ? A-t-il conscience de l’horreur du monde ?
Exactement. C’est ça le contraste. Dans l’album, on décrit les événements mais on reste bouche bée, sans voix face à cela. Quand le petit garçon voit ces hélicos prêts à détruire sa maison, dans son esprit, c’est comme un gros criquet qui va l’attaquer. Il n’a pas de mot pour décrire, à cause de cette innocence justement ! On ne sait pas ce qui se passe quand on est enfant. Mais on est quand même sous le choc.

Le titre Dawn extrait du dernier album n’est pas loin d’être exceptionnel, doté d’un flow unique, où les cuivres se marient à merveille avec le côté dramatique du texte. Quelle est l’histoire derrière ce morceau ?
Il raconte l’histoire d’un homme qui se trouve à une fête, où il rencontre une femme. On passe du bon temps, ils vont chez lui… Et puis il réalise qu’elle a une cicatrice sur son corps qui représente un autre corps prenant possession du sien. C’est étrange, hein ? En tout cas, c’est ce qui m’est arrivé. Je l’ai amenée voir un ami médecin, il ne nous a pas aidés. C’est un vrai business, tout ça. Un vrai cercle.

Mmmh, pourquoi pas. Il semble en revanche que ce titre est représentatif du reste de l’album, avec ces lignes de cuivres qui tranchent par rapport au phrasé assez saccadé et dur. C’est voulu ?
Tout à fait. On retrouve les éléments inhérents au jazz avec la volonté de ne pas faire de la guimauve. Quand vous écoutez Charles Mingus, il y a toujours une ironie, un sarcasme, même dans la beauté du truc. C’est ce que j’ai voulu reprendre.

Des projets à venir ?
J’ai beaucoup d’idées mais je ne suis pas sûr de ce que je vais faire maintenant. Mon dernier album m’a beaucoup marqué. Maintenant, mon but, c’est de retranscrire l’histoire liée à ce disque sur scène. Je crois sincèrement qu’il s’agit de mon album le plus personnel, très intime. Et en même temps, le plus lourd.

Vous aimez la scène ?
J’adore. La conception d’un album constitue une étape, la théorie. Quand vous débarquez sur scène, vous discutez de l'album avec les autres. C’est totalement différent et nécessaire, ce partage. Et en parallèle, avec les autres musiciens qui m’accompagnent, on peint et on écrit des poèmes. Quand on termine un album, en réalité, nous n’en sommes qu’au commencement.

-> Iswhat ?! + Rewind, jeudi 4 octobre à 20h30 à la Source.

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